Entreprise Communicationnelle Et Communication Théâtrale
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ENTREPRISE COMMUNICATIONNELLE ET COMMUNICATION THÉÂTRALE : UNE ALLIANCE LÉGITIME ? LES ENJEUX DU THÉÂTRE D'ENTREPRISE
Tania BOROS
Mémoire de 4e année
Organisations, hommes et management
Sous la direction de : Lionel Honoré
2011 - 2012
« Le théâtre, à proprement parler n’a rien à dire, ni personne à informer ou à convaincre. Il se contente de créer les conditions d’une connivence et de révéler le destinateur à luimême »
Jacky Martin
Remerciements
Un grand merci à M. Lionel Honoré, pour la grande autonomie accordée quant au choix du sujet et dans la rédaction du mémoire.
Merci à Messieurs Baier, Chabert, Lorgnier, Poissonneau, Sabbagh, Simmonet, Tasik pour leurs conseils et leurs contributions à ce projet de recherche.
A Sébastien, Séléna et Fanny, pour leur amitié et leur soutien sans faille tout au long de cette année, décisive sur de nombreux aspects : un gigantesque merci.
Merci à toutes ces amitiés outre-atlantique (argentines, chiliennes, colombiennes, équatoriennes...) qui ont si bien su me rappeler que la vie est un merveilleux théâtre et qu'il ne tient qu'à soi de choisir d'interpréter le rôle que l'on souhaite.
Merci enfin à Khal Drogo, qui nous a permis de chevaucher avec entrain, cette impressionnante montagne que fut le mémoire de 4e année !
Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS
Table des matières
Table des illustrations.............................................................................................................6 Liste des sigles et abréviations...............................................................................................7 Introduction............................................................................................................................8 I.Quel(s) théâtres pour quelle(s) entreprise(s) : « l'avènement de l'entreprise communicationnelle »..........................................................................................................16 A.Un contexte socio-économique propice au développement de la composante communicationnelle ........................................................................................................16 1.Une restructuration de la communication pour favoriser la performance productive .....................................................................................................................................18 2.La société moderne touchée par la déliquescence du lien social et la crise des bases identitaires ..................................................................................................................21 B.Les outils de la communication en entreprise : entre liberté et contrôle......................23 1.Une démarche participative.....................................................................................25 2.Des instruments à finalité directement communicationnelle...................................26 3.Des instruments qui favorisent l'activité communicationnelle................................28 C. Limites de l'entreprise communicationnelle : coûts supplémentaires et violence psychosociale...................................................................................................................31 1. Les coûts de la discussion en entreprise et le « simulacre » communicationnel....32 a.« Le coût cognitif de la discussion »...................................................................32 b. « Le coût politique de la discussion »................................................................33 c. « Le coût de la responsabilisation par la discussion »........................................34 d. « Le coût social de la discussion ».....................................................................35 e. L'organisation du « simulacre »..........................................................................36 2. L'expérience du risque psychosocial.......................................................................37 II.Quelle pertinence du théâtre pour l'entreprise communicationnelle ?..............................42 A.L'homme de théâtre, un « andragogue légitime »?......................................................45 1.La vocation pédagogique du théâtre à l'aune de l'histoire.......................................46 2.De l'usage de la communication..............................................................................48 3.De la prédominance de l'humain..............................................................................49 B.« Les métaphores de l'entreprise théâtrale »................................................................51 1.« Manager - metteur en scène et metteur en scène-manager »................................53 2.« Rôle » et « fonction » : des caractéristiques similaires.........................................55 3.Aspects extérieurs et « mise en scène » : décorum, uniformes et prise de parole. ..57 C. L'aménagement du registre théâtral pour l'entreprise.................................................59 2012 4/103
Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS 1. Un registre expressif étroit......................................................................................61 2. Le soucis de réalité..................................................................................................62 3. L'importance du rire................................................................................................63 III.Le théâtre en entreprise :objectifs souhaités et effets constatés......................................67 A. Les objectifs recherchés par le théâtre d'entreprise....................................................70 1. L'aide à la résolution de problèmes humains dans l'entreprise...............................71 2. L'aide à l'animation managériale.............................................................................72 3. L'aide pédagogique.................................................................................................72 4. L'aide à l'analyse de l'instituion..............................................................................73 5. L'aide à la fonction parentale de l'entreprise...........................................................74 B. Le théâtre en entreprise dans la pratique : les effets vertueux ...................................75 1 Sur le statut général et les vertus pédagogiques.......................................................76 2.Sur les moyens de prévenir et de lutter contre les risques psychosociaux : liberté, communication et reconnaissance...............................................................................78 C. Les limites des compétences du théâtre dans le cadre de l'entreprise.........................81 1. Des limites à la pratique..........................................................................................81 a. Du côté du théâtre et des acteurs........................................................................81 b. Du côté de l'audience dans l'entreprise...............................................................84 2. Limites à la réalisation des objectifs ......................................................................85 a.Hiatus entre outil déclencheur et solution durable .............................................85 b. Sur le thème du statut : les questions de clause de confidentialité et de référencement ........................................................................................................87 c. Les questions de coûts des prestations théâtrales...............................................89 3. Les questions des dynamiques nouvelles et du statu quo.......................................89 Conclusion............................................................................................................................91 Bibliographie........................................................................................................................94 Annexes................................................................................................................................98 Annexe 1 : Typologie des pratiques théâtrales en entreprise (Laurent Baier).................98 Annexe 2 : Réactions des entreprises après des interventions théâtrales de l'équipe de Com en Boîte.................................................................................................................100 Annexe 3 : Captures d'écran des sites web de Com en Boite et Théâtre à la Carte.......102
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Table des illustrations
FIG 1:
Illustration des flux de communication en entreprise (horizontal et
FIG 2 : Modèle de la communication de Shannon et Weaver..................................p. 24
FIG 3 : Types et caractéristiques des situations qui peuvent favoriser l'émergence de risques psychosociaux dans l'entreprise..........................................................................p. 39
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Liste des sigles et abréviations
RPS : risques psychosociaux
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Introduction
MEMOIRE
La rencontre du théâtre et de l’entreprise sur le terrain de cette dernière peut faire penser, dans un premier temps, à un mariage douteux, un mauvais choix tactique qui mènerait à une confrontation problématique entre deux mondes, deux cultures professionnelles totalement distinctes, deux communautés de pratiques et de valeurs qui paraissent incompatibles. Pour Rossella Magli « Il s’agit de cultures professionnelles qui ont chacune leur système de valeurs, leurs finalités, leurs modes d’opérations et qui, chacune à sa façon, forme un système culturel restreint, inscrit dans un système culturel qui les dépasse » . Pourtant, comme on va le constater tout au long de cette réflexion sur la collaboration entre ces deux activités, le théâtre a effectivement des arguments à proposer pour convaincre du bien fondé de l’intégration de son univers à celui de l’entreprise. C’est d’ailleurs parce qu’il est fondamentalement opposé à la culture d’entreprise traditionnelle que le théâtre a peut être un impact encore plus important que les outils classiques utilisés dans ces organisations pour favoriser une communication efficiente entre les acteurs.
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Importé du Canada (pays précurseur dans le théâtre d’entreprise, happening d’entreprise etc.) en 1988, le théâtre d’entreprise est donc un phénomène récent en France. De par son caractère atypique, il a bénéficié dés ses débuts d’un festival annuel à Biarritz mais peu de colloques et tables rondes comme le note Magli. Les défis majeurs qu’il a tout d'abord eu à
1 Magli Rossella, Le théâtre d'entreprise, In : Quaderni, N°32, Printemps 1997, pp 33-64
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS relever se situaient dans l’accompagnement du changement dans l’entreprise, en tant qu’outil de formation et de communication. « Changement compris comme transformation structurelle, nouveaux modes de relations inter-hiérarchiques, nouveaux circuits de communication, nouvelles compétences humaines requises à l’intérieur de l’entreprise dans les échanges entre les hommes, à l’extérieur de l’entreprise dans les relations avec les clients » . S’il n’a pas réussi à provoquer un fort engouement de la part de la presse quotidienne, le théâtre en entreprise fait néanmoins l’objet de plus en plus d’articles dans la presse spécialisée. Mais comme le remarque Rosella Magli; « la littérature existante se caractérise par sa forte inspiration promotionnelle, qui est d’ailleurs typique du discours d’accompagnement de toute innovation. Le théâtre et l’entreprise sont présentés en termes abstraits : on leur prête des qualités, des vertus, des volontés absolues, alors que leur réalités respectives sont infiniment variées, nuancées » . Si aujourd’hui, la presse spécialisée s’intéresse de plus en plus à ce phénomène, on note cependant que toutes les plaquettes de présentation, sites web etc. des équipes de théâtre en entreprise utilisent encore et toujours ces mêmes termes génériques de vertus plus ou moins floues et abstraites. Des termes tels que « accompagner », « dédramatiser », « valoriser », « impliquer », « sensibiliser », « motiver » etc. (qui rappellent étrangement les power point de présentation de projets ou les pep talk « à l’américaine »…).
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Dans la pratique théâtrale en général, Françoise Leplâtre remarque que l’intérêt des auteurs
2 Magli Rossella, op.cit 3 ibid. 4 Inspiré des sites web des sociétés de théâtre en entreprise (COM EN BOITE, Théâtre à la carte, Scène-entreprise)
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS se porte surtout sur les plus jeunes alors que très peu d’ouvrages analysent l’impact de cette pratique sur les adultes. « Peut être parce que jouer, faire le clown, faire du théâtre ne saurait être considéré comme une activité sérieuse pour les gens sérieux que sont les adultes, les employeurs ou les salariés d’entreprise » selon Barthélémy-Ruiz (chargé de l’enseignement du « jeu en situation pédagogique » à Paris XIII). On comprend ainsi le principal conflit ex ante entre ces deux univers: le sérieux de l’entreprise contre les clowneries du théâtre, qui ne saurait donc être autre qu'un objet de divertissement dans le sens commun. Pourtant le constat est le même partout : de plus en plus de filières de formation utilisent des méthodes d’apprentissage proches du jeu et de l’univers théâtral. D’abord présentes dans les cursus de formation de futurs enseignants (IUFM), les carrières juridiques (avocats), et les métiers de la vente, ces méthodes se sont par la suite exportées et ont accouché de ce qu’on appelle aujourd’hui les méthodes de formation actives, majoritairement utilisées dans les grandes écoles de management (même si on les trouve aussi dans les écoles d’ingénieurs et les universités) pour former les étudiants à la communication interpersonnelle. Parmi ces méthodes on trouve des jeux d’entreprise, jeux de rôle, des projets de création d’entreprise (comme le projet KALYPSO à l’ESSCA qui s’étend sur un mois entier durant lequel la totalité des cours sont supprimés) ou encore des mises en situation sur des études de cas, méthode notamment utilisée à la Business School de Harvard dés 1935
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5 Barthélémy-Ruiz C., Le jeu théâtral comme jeu de formation, et Leplâtre F., La formation se met en scène ou les mille et une vertus du théatre, Centre INFFO, Paris La Défense, 1996 6 Permet à partir de cas simulés, écrits ou filmés, de provoquer des discussions de groupe et de dégager des solutions
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS Ces nouvelles pratiques ont donc pour vocation d’impliquer et de former les étudiants par des méthodes actives et ludiques, dépassant ainsi le cadre théorique classique qui manque parfois de dynamisme et de clarté. Cette logique d’apprentissage par le jeu avait d’ailleurs déjà été évoquée par Adam Smith pour qui l’économie relevait plus des toys than tools. Pierre Guillet de Monthoux y voit un parallèle avec les hypothèses de l’économiste de l’innovation Derek de Solla Price qui pensait que « les enfants pauvres en URSS n’ayant pas de vieux jouets à examiner et à démonter ne feront pas, en grandissant, de bons techniciens et innovateurs ». A la lumière des apports de ces deux économistes, Guillet de Monthoux conclut alors « si les tools sont en vérité des toys alors le jeu, et non le travail, est à l’origine du développement de la société technique. » . Et effectivement si ce n’est pas encore chose courante dans le monde des entreprises, certaines ont pourtant déjà fait le choix d’introduire le jeu dans le quotidien des employés (dans des entreprises telles Pixar ou Dreamworks ) ou de manière plus sporadique (week ends ludiques d’intégration en entreprise avec jeux de pistes etc.). Dans tous les cas, on observe que le jeu (dans son sens le plus large) utilisé dans un établissement de formation ou une entreprise peut servir l’apprentissage et le développement de la créativité mais a aussi pour principale conséquence d’imposer une certaine forme de communication (par la pratique d’une activité de groupe), qui serait en mesure de favoriser a posteriori la cohésion entre ses membres. Cependant s’il est bien question de jeu dans les deux cas, il faut tout de même opérer la distinction entre le jeu tel que se rapportant à l’univers du jouet et le jeu théâtral qui relève
7 Guillet de Monthoux P., Esthétique du Management Public, Revue POLITIQUES ET MANAGEMENT PUBLIC, Volume 9, n°2, juin 1991 8 Grandes salles de jeu, espaces où les employés se déplacent en trottinettes etc. chez Pixar et Dreamworks On retrouve un caractère ludique dans les entreprises à caractère très innovantes en général (informatique, jeux vidéos, NTIC etc.)
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS plus des jeux de rôle proposés dans la formation des étudiants des grandes écoles. Pavis signale d’ailleurs que la langue française ne possède pas de tournures parallèles pour jeu et théâtre comme l’allemand (spielen, schauspiel) ou l’espagnol (jugar et actuar) .
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Alors, si de plus en plus d’établissements d’enseignement ont introduit ces techniques dans leur cursus pour former de futurs managers, qu’en est-il lorsque ces techniques sont introduites en entreprise pour actualiser la formation des managers en activité ? Si la question de la pertinence de l’outil théâtral pour la formation en entreprise s’est posée dés l’apparition de cette activité, de nouvelles problématiques se sont progressivement dégagées pour en ouvrir le champ des possibles, notamment avec la très forte médiatisation des risques psychosociaux en entreprise depuis quelques années.
Les objectifs du théâtre en entreprise pourraient donc évoluer et être consacrés non plus seulement à l’accompagnement du changement, mais aussi à la prévention des risques dus au stress, à la pression, au harcèlement ; plus communément appelés risques psychosociaux. Le Ministère du Travail définit ces risques de la manière suivante : « risques professionnels qui portent atteinte à l’intégrité physique et à la santé mentale des salariés : stress, harcèlement, épuisement professionnel, violence au travail[…] Ils peuvent entraîner des pathologies professionnelles telles que des dépressions, des maladies psychosomatiques, des problèmes de sommeil, mais aussi générer des troubles musculosquelettiques, des maladies cardio-vasculaires voire entraîner des accidents du travail » . D’après l’INSERM, « les facteurs psychosociaux au travail désignent un vaste ensemble de
9 Pavis P., Dictionnaire du théâtre, éditions Armand Colin, 2002 10 www.travailler-mieux.gouv.fr/Risques-Pyscho-Sociaux-RPS.html
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS variables, à l’intersection des dimensions individuelles, collectives et organisationnelles de l’activité professionnelle, d’où leur complexité et leur caractère souvent composite » . On comprend donc ici quels pourraient être les nouveaux objectifs du théâtre en entreprise : dénouer les nœuds communicationnels, augmenter la confiance en soi des salariés face aux directives et injonctions de la direction, souvent contradictoires et parfois méprisantes (pour le personnel hospitalier par exemple, très marqué par la violence des relations entre chefs de service et infirmières) etc.
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Comme on l’a précédemment évoqué, le théâtre d’entreprise est un marché en plein essor : dés 1999, Bosa signalait que de nombreuses entreprises et notamment les plus importantes (IBM, Volkswagen, Schneider, La Poste etc.) étaient de plus en plus nombreuses à recourir à ce type d’intervention qui se caractérisaient déjà par une forte diversité des intervenants, des techniques utilisées et des prestations offertes
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; mais il existait alors peu d’études
réellement pertinentes pour juger de la qualité de ces méthodes. Certains chercheurs ont par la suite tenté de remédier à ce défaut d’analyse et ont réalisé des travaux de recherche empiriques comme le projet THEMASTRAT (THEâtre et Management STRATégique), pour mettre en avant les impacts réels constatés du théâtre en entreprise. Nous y reviendrons dans le troisième temps de notre analyse. De manière générale, si ces études permettent de dégager certains aspects (positifs ou négatifs) de cette pratique, des questions générales sur la portée et les intentions du théâtre en entreprise demeurent ouvertes.
11 http://www.u687.idf.inserm.fr/page.asp?page=4763 12 Bosa B., Théâtre en entreprise, La voix de son maître, Alternatives Economiques, n°167, 1999
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS Les interrogations de Rosella Magli sur ce sujet nous donnent un très bon aperçu de son ampleur : « Le théâtre en entreprise n’est-il qu’un des multiples outils fonctionnels à la communication en tant que technique de gestion, nouveau visage convivial du pouvoir, ou entraîne-t-il des dynamiques qui échappent à cette logique du contrôle, avec un potentiel vérifiable à porter un changement réel dans les pratiques d’entreprise ? En d’autres termes, comment le théâtre peut-il être mis au service des entreprises et des individus qui y travaillent et celui-ci doit-il être considéré comme un outil de transformation collective, ou un objet de régulation au services des impératifs managériaux sous couvert du « simulacre d’un pouvoir convivial » ?
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Dans notre analyse, il s'agira de rendre compte de la situation du monde productif aujourd'hui, quelles sont précisément les caractériques fonctionnelles de l'entreprise dite moderne qui permettent, voire nécessitent l'appui d'un outil extérieur comme le théâtre ? De quelle légitimité l'art dramatique dispose-t-il pour prétendre constituer une ressource pertinente pour l'entreprise et ses nouvelles problématiques ? De quelle manière cette coopération se met-elle en place et quels sont ses véritables effets sur l'entreprise et ses acteurs ? Quel sens accorder à l'introduction du théâtre en entreprise, quels en sont ses enjeux (théoriques ou constatés) et enfin, pour reprendre la thématique de Magli, celui-ci permet-il de changer la dynamique de fond des organisation ou n'est-il qu'un artifice mis à disposition des acteurs de l'entreprise pour en dissimuler les vrais dysfonctionnements ?
Qu’il s’agisse de formation , d’intervention en situation de crise ou de prévention des risques psycho-sociaux, l’émergence du théâtre en entreprise est bien le symbole de
13 Magli R., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS l’importance croissante accordée à la fonction communicationnelle en entreprise, ce qui fera l’objet d’une première partie. Nous tenterons par la suite de déterminer dans quelle mesure la pratique théâtrale permet-elle de répondre (ou non) à ces nouveaux enjeux et quels sont les objectifs assignés au théâtre d’entreprise en tant que tel. Enfin nous analyserons les succès et les limites de cette activité à travers divers entretiens réalisés avec des professionnels de ce domaine.
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I. Quel(s) théâtres pour quelle(s) entreprise(s) : « l'avènement de l'entreprise 14 communicationnelle »
Avant de s’intéresser spécifiquement au théâtre d’entreprise, il est primordial de revenir sur le contexte socio économique qui l'a vu apparaître et de se pencher sur les mutations de l’entreprise qui ont appelé à son émergence. Il s’agit ici de comprendre pourquoi la communication et le langage sont devenus les instruments primordiaux des transformations structurelles et opérationnelles de l’entreprise, quels sont les outils pratiques mis à la disposition des organisations et quelles en sont leurs limites. Pour cela, nous nous inspirerons en particulier des travaux de Mathieu Detchessahar et Rosella Magli.
A. Un contexte socio-économique propice au développement de la composante communicationnelle
Depuis la révolution industrielle et le modèle de l’entreprise familiale, la structure organisationnelle des entreprises a bien évolué. Plusieurs facteurs expliquent cette
14 Detchessahar M., L'avènement de l'entreprise communicationnelle , Revue française de gestion, 2003/1 no 142, p. 65-84. DOI : 10.2166/rfg. 142-65-84
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS évolution. Ce fut, dans un premier temps, un critère économique: la multiplication des échanges commerciaux dans une mondialisation croissante a inévitablement entraîné l’accroissement de la compétitivité internationale. Ce qui a favorisé diverses mutations : le développement de la production de services au détriment des biens manufacturés (dans nos sociétés occidentales surtout) et, depuis une vingtaine d’années maintenant, la révolution technologique à savoir l’augmentation et la diversification des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) dont l’exemple le plus marquant est bien évidemment l’avènement d’internet. Mais à ces enjeux économiques se sont progressivement ajoutés des enjeux sociaux dont on retiendra principalement les tentatives de récupération de sens et de lien social par l’entreprise : sujets de plus en plus conflictuels dans l’espace public. En 1994, Danièle Linhardt nous présentait déjà les points communs des nouveaux discours sur l’organisation de l’entreprise: « une entité fluide, transparente, interactive, productrice de sens, grâce à l’homogénéisation de ses activités et de ses acteurs, qui sont appelés à s’identifier à ses finalités, et de ses modalités de fonctionnement » . L’entreprise, et cette définition nous le montre bien, ne se limite plus simplement à ses activités productives mais cherche à constituer une réserve de sens, dans une société moderne en perte de repères et de références, et ce notamment grâce à sa « fluidité » et son « interactivité » , à savoir, le développement de sa composante communicationnelle.
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15 Linhart D., La modernisation des entreprises, Editions La Découverte, 1994 16 Linhart D, op cit
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1. Une restructuration de la communication pour 17 favoriser la performance productive
La très forte dérégulation de l’économie initiée dans les années 80, combinée avec le développement de plus en plus rapide des NTIC ont suscité une très forte accélération de la financiarisation de l’économie, ce qui a par ailleurs impliqué d’importants changements en termes de management des équipes dans les entreprises, pour répondre aux nouveaux enjeux de rapidité et de fluidité exigés par la nouvelle matrice des flux commerciaux (de biens, services, devises etc.) ainsi qu’aux attentes des investisseurs et actionnaires qui prennent une part de plus en plus importante au financement de l’économie mondiale. Pour accompagner cette évolution de fait, les entreprises ont donc été contraintes de revoir totalement la géométrie de leur organisation interne : d’un modèle pyramidal rigide (inspiré du modèle tayloriste et fordiste du début du siècle précédent) basé sur une hiérarchie stricte et une chaîne de production fortement encadrée et vouée à la production de masse, on est progressivement passé à un modèle plus souple, constitué autour de petites unités de travail polyvalentes qui ont «valorisé de nouveaux arrangements de compétences: flexibilité, savoir-faire, mais aussi savoir- être, capacité de cogestion et de coproduction de l’unité de production et de l’équipe, mais surtout compréhension, partage et appropriation des objectifs de l’entreprise » . Si la définition stratégique des objectifs provient toujours de l’échelon supérieur de la hiérarchie, une plus grande autonomie est accordée aux équipes de ces unités de travail pour convenir de leur réalisation. Ce qui nécessite un management des équipes actif et efficace aussi bien verticalement (entre les différents échelons de la hiérarchie) qu’horizontalement (pour assurer la cohésion du
17 Inspiré de Detchessahar M., op. cit. 18 Magli R., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS groupe et la bonne entente entre ses membres).
Dire c tio n Co m m unic atio n ho rizo ntale Co m m unic atio n ve rtic ale
Em plo yé 1
Em plo yé 2
Em plo yé 3
Illustration des flux de communication (horizontal et vertical) en entreprise
Les recherches de Masahiko Aoki sur la structure des entreprises japonaises insistaient, il y a une vingtaine d’années déjà, sur l’importance de la communication dans l’amélioration de la performance productive : « c’est en favorisant la communication entre les unités opérationnelles que la firme J gagne en capacité de réactivité et d’adaptation »
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(Aoki,
1990). En France, une étude réalisée pour le Commissariat général du plan tentait déjà de démontrer dans les années 90 que « la capacité à aller vers l’entreprise communicante intégrée est un des éléments qui décideront du devenir de l’industrie française » (Irion, 1990). Depuis, de nombreux chercheurs en sciences économiques et de gestion ont tenté de
19 Aoki M., Toward an economic model of the Japanese firm, Journal of Economic Literature, March 1990 20 Irion B, L'usine du futur. L'entreprise communicante et intégrée, Rapport du groupe prospective du commissariat général du plan, La documentation française, 1990
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS démontrer le rôle primordial de cette composante communicationnelle. Des auteurs comme Zarifian qui insistent sur « la prise de conscience du fait que la communication est devenue une composante essentielle du travail […] et que la qualité des interactions est désormais centrale pour améliorer la performance des organisations
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». En d’autres termes, la
communication serait devenue la base essentielle à une bonne coordination dans les activités de l’entreprise moderne, fortement influencée par les mutations de la société économique dans laquelle elle s’inscrit (Biencourt, Jolivet, 2000, Detchessahar, 2003, Piore et al, 1994, Renault, 1997,). Elle permettrait « d’organiser une dynamique de changement continu pour faire face aux évolutions erratiques de l’environnement » (Detchessahar, Giroux 1998, Giroux et Giordano, 1998) Dans ce sens, certains auteurs préconisent même un management par la conversation (Von Krogh et Roos, 1995) en statuant que « si elle sait gérer les conversations à différents niveaux de l’organisation, l’entreprise pourra réagir plus vite (et sans doute mieux) que ses concurrents » ou « une théorie de l’espace de discussion en situation de gestion » (Detchessahar, 1997, 2001a) qui orienterait les chercheurs vers l’étude des workplace conversations (Woodilla, 1998) ou qui amènerait « l’ouverture d’espaces ou de lieux institutionnels de débat » (Boudes, 1998, Avenier, 1997)
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En bref, il semblerait qu’il y ait aujourd’hui un fort consensus des recherches en sciences de gestion autour de l’intérêt pour l’entreprise à favoriser les échanges et à accroître l’intensité communicationnelle. Et ce dans la mesure où les situations de travail sont de
21 Zarifian P, Travail et communication, Essai sociologique sur le travail dans la grande entreprise industrielle, Revue Française de sociologie, vol 39, n° 39-1, p. 230-232, 1998 22 Detchessahar, op. cit. 23 Detchessahar M., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS moins en moins rigides et routinières et incorporent « une part croissante d’ambiguïté »(dans le sens d’une différence accrue des représentations qu’en ont les acteurs), ce qui impliquerait que la qualité des décisions dépendraient de plus en plus de la mise en place d’un lieu de dialogue et de confrontation des représentations des acteurs (Detchessahar, Rowe 1997).
2. La société moderne touchée par la déliquescence du 24 lien social et la crise des bases identitaires
Le second point qui expliquerait que l'importance accordée à la communication en entreprise ait autant augmenté ne réside pas (seulement) dans l'aménagement de la structure opérationnelle de l'entreprise pour améliorer sa productivité mais dans l'image que cette même entreprise a pu véhiculer ces dernières années dans un contexte de déliquescence du lien social et de perte de sens et de références identitaires. Selon Magli, « l'entreprise se propose comme une réserve de sens, capable de donner des objectifs (des chiffres d'affaires), de fabriquer de l'identité parce qu'elle permet de structurer du soi et du non-soi, elle professionnalise, elle résout le divorce du sujet masse et du sujet individuel ». Et effectivement si l'on dresse un portrait de la société occidentale aujourd'hui, on constate dans la plupart des cas que les liens inter et intra générationnels traditionnels (famille, religion, engagement politique etc.) ne semblent plus suffisants à enrayer la perte des fondements identitaires et des références de sens des nouvelles générations accédant au marché du travail (Magli 1997). Dans un rapport pour l’OFCE sur le malaise social des classes moyennes, le sociologue Louis Chauvel insiste sur les vertus de la dynamique sociale des années 60 à 80 qui
24 Inspiré de Magli R., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS constituait selon lui « un projet social et politique cohérent, aujourd’hui déstabilisé ». Pour renouer avec cette dynamique, il faudrait alors miser sur « l’investissement productif dans des secteurs porteurs d’avenir de long terme » . En d’autres termes, c’est le monde des organisations du travail qui seraient en mesure d’inverser les tendances de morosité et de malaise actuelles.
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En résumé c'est parce que les institutions traditionnelles ne semblent plus être capables de constituer une réserve de sens que l'entreprise a tenté de se substituer à elles. « Contre le clivage des identifications sociales, elle fait du mécénat, elle est entreprise citoyenne, contre la fragilisation des bases identitaires, elle se propose d'occuper la place du père et de la mère. » Pour Magli, la communication serait dans ce contexte l’instrument miracle que les occidentaux auraient adopté non seulement pour améliorer les capacités productives des organisations mais également pour réduire la fracture sociale. Elle insiste sur le fait que « les japonaiseries organisationnelles importées dans notre société occidentale placent la communication au premier rang, comme une sorte de panacée qui pourra nous guérir de nos maux de rigidité et d'inefficience ». Mais « dans une société comme la nôtre, qui traverse une crise profonde des valeurs collectives à la différence de la société japonaise, la communication est élevée au rang de remède à la crise du lien social ». (Magli, 1997) Ces mutations, voire cet élargissement de la définition même des organisations productives ont conduit certains sociologues à insister sur l’accroissement du rôle du langage en entreprise, qui, s’il constitue en premier lieu un outil managérial, a également fortement contribué à multiplier « les événements de parole » dans les organisations, permettant
25 Chauvel L, Les classes moyennes à la dérive, Col La république des idée, Ed. Seuil, 2006 26 Magli R., op. cit. 27 Borzeix A., Quand parle le travail. Vers un nouveau domaine de recherche interdisciplinaire,
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS ainsi de « sortir de la clandestinité, où le taylorisme l’avait confiné, l’activité langagière des opérateurs » . D’autres, tel Zarifian, soulignent que « le passage du paradigme de la séparation des tâches et des responsabilités au paradigme de la mise en coopération du travail contribue à accroître la dimension langagière du travail des opérateurs» . Ces déclarations pourraient donc nous amener à formuler l’hypothèse suivante : les liens communicationnels classiques ou les « négociations ordinaires » (Borzeix 1987, Stimec, 2009) n’étant plus ou que partiellement assurés par les institutions traditionnelles (familles, politiques, religieuses), l’entreprise, en insistant sur le fait communicationnel dans un objectif productif, a par ailleurs récupéré et réactivé un lien social et une base identitaire à travers le soutien à la coordination par le langage. Au-delà de la volonté même de l’entreprise, ce serait donc peut-être un choix (conscient ou non) des employés et des collaborateurs dans les organisations que de mettre la communication en entreprise en exergue dans ce nouveau contexte.
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B. Les outils de la communication en 30 entreprise : entre liberté et contrôle
Pour Detchessahar, le développement de la communication en entreprise c’est l’idée que « les transformations en cours contribuent à inscrire le langage au cœur des activités productives en élargissant, notamment, le spectre des individus qui se voient reconnaître un accès légitime à la communication dans les organisations ».
Revue internationiale d'action communautaire, vol 25, n°65, 1995, p.137-144 28 Detchessahar M., op.cit. 29 Zarifian P., op.cit. 30 Inspiré de Detchessahar M., op. Cit. ; Magli R., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS Pour Magli, la communication se présente comme « le lien tout puissant, technologisé et humanisant à la fois, capables de surmonter les barrières hiérarchiques, et encore plus, temporelles et spatiales ». La communication aurait donc pour vocation d’établir le consensus d'une « communauté réunie autour d'objectifs partagés ». La communication, qui passe principalement par le langage, doit donc permettre la cohésion du groupe au delà des conflits et désaccords, elle doit également assurer la conservation et le renouvellement des réseaux (internes et externes) mais elle doit aussi jouer un rôle formateur en assurant la transmission des savoirs et des techniques entre ses membres et ouvrant le débat sur la qualité des décisions prises. Parmi les théories de la communication, le modèle de Shannon et Weaver exprime clairement la manière par laquelle le message est transmis de l'émetteur au destinataire .
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Modèle de la communication de Shannon et Weaver Source : http://socianalyse.pagesperso-orange.fr/Guidecom/Commu/systenfe.htm
31 Shannon and Weaver, Théorie mathématique de la communication, 1948
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS Quels instruments l’entreprise a-t-elle donc mis en place pour garantir l’accès à la communication ? Quels sont les moyens de l'entreprise pour faire discuter ses acteurs et transmettre ses messages ?
1. Une démarche participative
Cette démarche est assurée au moyen de nombreux outils, promus par les experts de la gestion (cabinet de conseils, managers etc.), et en constante évolution, notamment grâce aux progrès réalisés dans le domaine des NTIC. Dechetchessahar liste entre autres : « l’ingénierie des processus, la certification qualité, le fonctionnement par projet, équipes autonomes, par espaces de travail décloisonnés ou plate-forme de travail, les outils de gestion des connaissances... » pour ne citer que ceux-ci. De manière générale ce sont de plus en plus les « réseaux informatiques, banques de données, (et donc auto-formation)» qui permettent « la gestion flexibles des ressources et du temps, le rôle actif du salarié, l’individualisation et l’autonomie »(Detchessahar, 2003) Pour Magli cependant, cette démarche novatrice cache des aspects plus archaïques de fonctionnement des organisations qui reposerait encore sur des «schémas classiques d'autorité et de commandement ». Ce qui traduirait donc, selon elle, une forme de simulacre d’autonomie, organisée pour les besoins du contrôle.
La composante communicationnelle dans le nouveau mode de gestion des organisations s’inscrit dans ce qui s’intitule désormais le management participatif, management qui cherche notamment à éveiller chez tous les salariés (quel que soit leur position hiérarchique) une conscience professionnelle « de type entrepreneurial ou gestionnaire » .
32 Magli R., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS Cette technique de rationalisation permet surtout au salarié, en tant qu'individu, de se sentir investi d'une mission qui dépasse le simple cadre de son travail. Le salarié est membre de l'entreprise comme membre d'une famille, citoyen de sa société comme citoyen de sa nation et se sent d'autant plus concerné par la bonne cohésion au sein de son entreprise qu'il peut désormais élever des enjeux managériaux et proposer des solutions comme un membre de la direction le ferait en temps normal (Magli, 1997). Cela montre bien que « la dimension discursive des activités de gestion s’accroît, et que la communication n’est plus l’apanage des seuls cadres puisque ces outils sollicitent toute l’activité discursive des salariés de la base » (Detchessahar, 2003, Grönn, 1983, Mintzberg, 1973).
2. Des instruments à finalité directement communicationnelle
Parmi les outils à finalité directement communicationnelle, on notera particulièrement la construction d’espaces décloisonnés de travail (open space) ainsi que la mise en place d’équipes autonomes. Detchessahar met en résonnance ses travaux sur les open space avec la notion d’espace public d’Habermas, où l’individu a priori exclu de la gestion de la chose politique est appelé à faire « un usage public de sa raison critique » . Il s’agit dans ce cas d’inciter, par la proximité géographique, l’activité discursive des membres de l’équipe, c'est-à-dire « d’échanger facilement et rapidement des ressources entre les acteurs », de réduire la « complexité de sens » (Martinet 1993), en facilitant « la confrontation rapide et directe des subjectivités et la prise en charge par le groupe d’une dynamique de sensemaking »
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33 Habermas J., L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Payot, 1990
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS (Detchessahar, 2003, Journé, 1999). Mais encore en permettant une « conventionnalisation des comportements » (Detchessahar 2001a, Honoré 1999) et enfin en contrôlant « l’usage de leur autonomie par les acteurs en rendant publique leur actions » . Les études effectuées sur les équipes autonomes (ou self managing teams) ont également montré que leurs acteurs tendaient à placer au cœur de l’organisation « des processus de régulation de type ajustement mutuel » , dérivant directement du concept de communication informelle de Mintzberg. Les recherches de Detchessahar et Honoré dans une grande entreprise navale avaient également statué de cette multiplication des espaces de discussion montrant notamment que la part communicationnelle dans les équipes autonomes augmentait d’environ 30% par rapport aux schémas d’organisation classiques des équipes. Hyacinthe Dubreuil (ouvrier métallurgiste de l’entre 2 guerres) y voyait un moyen de « rompre avec l’isolement, la déresponsabilisation et la disparition de la conscience professionnelle de l’ouvrier dans la grande usine contemporaine » . On constatera d’ailleurs que cette forme d’organisation du travail est de plus en plus utilisée : Une enquête de Lawler et Finegold auprès des entreprises américaines en 2000 montre que les équipes autonomes sont présentes dans plus de 70% d’entre elles en 1999 alors que ce pourcentage n’était que de 28% en 1987 (Detchessahar, 2003, Lawler et Finegold 2000). Magli nous apporte un autre regard sur la question en nous faisant remarquer que «si d'un côté ils sont mis en situation de managers, les salariés restent néanmoins agents d'exécution» principalement. Il est alors impossible de ne pas relier ces affirmations avec
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34 Detchessahar M., op. cit. 35 Detchessahar M., op.cit. 36 Dubreuil H., La république industrielle, Bibliothèque d'éducation, 1923
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS ce que Bateson appelle les double bind
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, ou injonctions contradictoires : l'idée qu'en
voulant faire porter à l'employé deux casquettes ou deux rôles à la fois (un paradoxe imposé en somme), l'entreprise rend sa fonction schizophrène et contraint parfois
l'individu concerné à l'immobilisme ert/ou à l'augmentation des facteurs de stress, ce qui peut bien évidemment se révéler contre-productif.
3. Des instruments qui favorisent l'activité communicationnelle
D’autres outils de gestion, plus indirects, ont conforté le développement de la part communicationnelle en entreprise : la gestion par les processus et l’organisation par projet notamment.
Pour Zarifian, le processus c’est d’abord « un principe d’animation de la communication intersubjective et un partage d’axes stratégiques » entre les acteurs . Cette organisation doit donc permettre de gérer la transversalisation de l’entreprise en supprimant les discontinuités trop présentes dans l’organisation tayloriste (Detchessahar, 2003, Hammer et Champy, 1993) et en assurant la « recomposition de l’entreprise sur la base de flux (de produits, de services, d’informations) orientés clients » . En d’autres termes, il s’agit ici de fluidifier la structure opérationnelle en outrepassant les longs « détours hiérarchiques » propre aux organisations traditionnelles (Detchessahar, 2003). Cette organisation par processus amène une nouvelle activité communicationnelle non plus
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37 Bateson G., Vers une écologie de l'esprit (tome 2),Seuil-Point Essai, 2008 38 Zarifian P., L'émergence de l'organisation par processus : à la recherche d'une difficile cohérence. Cohérence, pertinence et évaluation, Cohendet P., Jacquot J-H, Lorino P.(dir.), Economica, 1996, p. 65-86 39 Detchessahar M., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS seulement verticale mais aussi latérale comme le remarquent Tarondeau et Wright : « La réponse aux changements externes est fournie par communications latérales traversant les structures organisationnelles plutôt qu’à travers la chaîne hiérarchique de
commandement », ce qui implique nécessairement « la mise en œuvre d’importants volumes de communications transfonctionnelles » .
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De la même manière, l’organisation par projet « pousse à la mobilisation croisée et à la confrontation des opinions des différents services impliqués dans le projet » puisque tous les intervenants et acteurs de la chaîne de production du projet vont être réunis au même moment pour la réalisation de ce projet et non plus de manière successive dans un organisation traditionnelle. Ce qui va amener à ouvrir un véritable « espace de communication du projet » (Detchessahar, 2003).
42 41
Enfin, les entreprises ont également mis en place des cercles de qualités destinés à valoriser la libre participation et expression des salariés à travers « la mise en commun entre les différents niveaux hiérarchiques des expériences, des problèmes et des démarches » dans le but de rationnaliser et d’uniformiser la gestion des savoirs et des connaissances. Ces espaces permettraient d’effectuer une bonne gestion et actualisation des connaissances, ce qui passe nécessairement par « l’ouverture d’espaces de dialogue entre
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40 Tarondeau J-C, Wright R.W., La transversalité dans les organisations ou le contrôle par les processus, Revue française de gestion, n°104, juin-août 1995, p. 31-50 41 Detchessahar M., op. cit. 42 Moisdon J-C, Weil B., L'invention d'une voiture : un exercice de relations sociales, Annales des mines, série « Gérer et comprendre », septembre-décembre, 1992 43 Magli R., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS les individus et entre les individus et l’organisation » (Detchessahar, 2003, Nonaka, 1994) et « d’espaces d’explicitation des savoirs tacites et de confrontation aux savoirs formalisés par l’organisation » (Detchessahar, 2003). En cela, les cercles de qualité pourraient viser à « la pacification sociale des esprits et des relations interhiérarchiques et à la diffusion d'un modèle consensuel et convivial des relations » . Cependant, Magli remet en cause ces nouvelles pratiques en insistant sur le fait que l’émergence de ces espaces d’autonomie et de discussions, sous couvert d’efficience et de recherche du consensus, pourraient en réalité dissimuler une nouvelle forme de contrôle et d’encadrement dissolus dans la soi disant liberté de la conversation. Elle affirme notamment que « les cercles de qualité visent à casser les espaces d'autonomie acquis par les groupes réunis autour d'une tâche de travail grâce aux défaillances de l'organisation formelle, une sorte de contre-pouvoir occulte qui peut contrebalancer, au moins partiellement, celui de l'entreprise. Par les cercles de qualité, en revanche, l'entreprise vient à occuper tous les espaces de liberté que les situations conflictuelles rendent possibles et renforcent, et génère ainsi un affaiblissement des savoir-faire et de l'identité des salariés à travers l'extirpation de la distance critique, productrice de sens » (Linhart, 1994, Magli 1997). Si les auteurs ne sont pas forcément du même avis sur le sujet, tous ou presque s’accordent sur le fait que les activités discursives ne se développent pas de manière totalement libres et déstructurées mais à l’inverse, font l’objet d’un fort encadrement par une certaine géométrie des structures ou par des outils qui visent à rendre la communication la plus efficiente possible. « La discussion est donc gérée, structurée» .
44 ibid. 45 Magli R., op. cit. 46 Detchessahar M., op. cit.
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C. Limites de l'entreprise communicationnelle : coûts supplémentaires et violence psychosociale
Il va de soi que les nouvelles structures organisationnelles accompagnées par la mise en place des outils communicationnels dans l’entreprise ne peuvent fonctionner que si les acteurs parviennent à s’approprier ces outils et souhaitent les utiliser et s’impliquer durablement pour créer une nouvelle dynamique de travail. En d’autres termes, pour que l’instrument communicationnel soit efficace, il faut que les individus participent effectivement aux activités discursives proposées par l’organisation, et ce en laissant de côté toute considération stratégique privée, qui menacerait les termes d’une meilleure solution publique et collective. Si certains auteurs insistent sur le sentiment de gratification et d’engouement de l’implication que devrait provoquer la participation à ces nouveaux espaces d’autonomie et de discussion (Hammer et Champy, 1993) , celle-ci demeure néanmoins dans de nombreux cas partielle, voire quasiment inexistante, comme le constate Detchessahar qui parle de: « difficultés à dépasser les logiques de métier ou de professions dans les organisations transversales », d’« équipes autonomes en sommeil », de « systèmes de gestion de connaissances sous utilisées » etc. Et effectivement si l’implication et l’enthousiasme des agents vis-à-vis des activités discursives collectives n’est pas total,
47 Hammer M., Champy J., Reengineering the Corporation, Harper Business, 1991
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS c’est parce que dans la majorité des cas elles entraînent corrélativement de nouveaux coûts privés ou parce que les individus ont le sentiment que la communication les exploite plus qu’ils n’arrivent eux-mêmes à l’exploiter. Pour expliciter ces phénomènes, nous reprendrons dans un premier temps les travaux de Detchessahar qui classe ces nouveaux coûts en 4 rubriques principales : des coûts cognitifs, des coûts politiques, des coûts de responsabilité et des coûts sociaux puis on explicitera brièvement l’idée d’une organisation du « simulacre » proposée par Magli avant de s’attarder dans un second temps aux phénomènes de crises et de violence psychosociales.
1. Les coûts de la discussion en entreprise et le 48 « simulacre » communicationnel
a. « Le coût cognitif de la discussion »
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Pour Journé, un coût cognitif est engagé à chaque fois que l’individu doit réaliser une démarche de compréhension de la situation dans laquelle il est impliqué alors qu’il est également « pris dans le flot des activités normales à réaliser » . L’activité discursive suppose d’une part qu’une grande partie des tâches d’interprétation et d’analyse des situations, traditionnellement réservées au personnel de direction, soient désormais confiées aux simples opérateurs en plus de leurs activités habituelles ; et d’autre part que cette analyse ne s’effectue plus dans un cadre privé mais dans un espace de discussion et de débat publique et collectif. L’activité langagière dans ce cas, c'est-à-dire la prise de recul réflexive pour une « mise en mots du travail » est par conséquent primordiale pour
48 Magli R., op. cit. 49 Detchessahar M., op. cit. 50 Journé B., Les organisations complexes à risques : gérer la sûreté par les ressources, Thèse de doctorat en sciences de gestion, Ecole polytechnique, 1999
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS permettre le passage des « représentations cognitives aux représentations discursives », ce qui nécessite d’avoir eu accès a priori à un bon niveau de scolarisation. L'école est en effet le lieu où l’on apprend justement à utiliser (et à prendre du recul sur) le langage pour aboutir à une réflexion cohérente où l’on « observe, découpe, souligne, classe, range en catégories » . D’autre part, la discussion suppose de « construire ensemble des solutions productives », c'est-à-dire de révéler publiquement des réflexions et grilles d’analyse privées (sur la manière de penser et d’effectuer le travail), ce qui peut se révéler déstabilisant pour l’acteur « dans la mesure où il peut aboutir à une obligation de changement individuel » et « à la nécessité d’amender ses représentations ».
51
Si l’on considère que l’acteur concerné est rationnel et qu’il agit toujours de manière à minimiser ses coûts (en limitant l’activité cognitive et agissant de manière routinière), on comprend en quoi une « mise en mots du travail » et une réflexion collective susceptible de changer ses façons de faire peuvent constituer un coût cognitif supplémentaire non négligeable.
52
b. « Le coût politique de la discussion »
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La divulgation des représentations et des analyses (comme expliqué précédemment) dans la discussion doit notamment permettre d’enclencher des processus de transmission du savoir et d’apprentissage mais implique donc dans la plupart des cas une mise en commun d’informations détenues au préalable individuellement. La « publicité de l’information » (au sens anglo-saxon de publicity) suppose donc le partage d’une ressource qui pouvait constituer un instrument de pouvoir et d’influence pour l’individu lorsqu’il
51 Lahire B., L'homme pluriel. Les ressorts de l'action, Nathan Coll. Essais et recherches, 1998 52 Detchessahar M., op. cit. 53 Detchessahar M., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS était le seul à la détenir (Detchessahar, 2003).
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Selon Crozier et Friedberg (1977) , c’est notamment parce qu’un acteur détient un savoir ou une information nécessaire à ses collaborateurs qu’il peut « exercer sur eux une influence et monnayer son information » . Les travaux de nombreux auteurs (tels ceux de Detchessahar sur les espaces décloisonnés dans le domaine des transports routiers (1997) ou de Bonfour (2000) chez Texas Instruments) montrent bien en quoi la divulgation de ces informations précieuses peut constituer un « coût d’opportunité », c'est-à-dire un coût de « renoncement au bénéfice que l’on aurait pu tirer d’un usage privé de l’information » (Detchessahar, 2003). Le raisonnement que l’on retrouve souvent chez des individus généralement en situation de compétition interne avec leurs collègues se traduit par « Pourquoi divulguer nos meilleurs pratiques aux profits de nos concurrents internes ? » . On aborde ici les limites de la recherche de cohésion engagée par l’outil communicationnel qui ne parvient pas véritablement à effacer ou à mettre en sourdine la dynamique des stratégies individuelles au profit de l’apprentissage collectif. Une nouvelle forme de double bind en somme.
56 55
c. « Le coût de la responsabilisation par la discussion »
57
De manière générale, si les conclusions qui ressortent de l’espace de discussion sont bel et bien prises en compte par la direction cela veut donc dire que celle-ci reconnaît aux individus qui y prennent par un « droit d’accès à l’agir politique dans l’entreprise, au sens
54 Crozier M., Friedberg E., L'acteur et le système. Les contraintes de l'action collective, Seuil, Coll. Points Politiques, 1981 55 Detchessahar M., op. cit. 56 ibid. 57 ibid.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS d’accès à l’élaboration des règles et des solutions productives » (Detchessahar, 2003). Ceci constituant évidemment une très forte responsabilisation des individus quant aux propositions qu’ils vont pouvoir émettre lors de l’activité discursive et à leur mise en œuvre, ils sont d’autant plus susceptibles d’être sanctionnés pour faute ou pour de mauvais résultats et ce notamment car l’entreprise met en place de plus en plus d’outils de suivi et de contrôle . Si l’entreprise conçoit donc une décentralisation de la prise de décision en accordant une prise d’initiative politique à des individus qui n’y avaient pas accès auparavant, elle l’accompagne de dispositifs de contrôle renforcés qui cherchent à assurer le suivi et la transparence des décisions prises mais qui peuvent aussi exercer une nouvelle forme de pression contradictoire, entre liberté et contrôle, qui conduit parfois les individus à préférer le système hiérarchique traditionnel où « la tranquillité et l’impunité sont mieux assurées »
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(Detchessahar 2003, Magli, 1997).
d. « Le coût social de la discussion »
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Au-delà des dispositifs de contrôle externe, la plus grande autonomie accordée aux acteurs dans la prise de décision implique nécessairement un contrôle et une surveillance mutuelle interne à l’équipe de travail. Si d’une part elle est difficile à mettre en place par manque d’habitude (cette fonction étant généralement prise en charge par la hiérarchie) et manque de légitimité (idem), elle peut d'autre part entraîner ce que Detchessahar appelle la « décentralisation d’une certaine forme de violence », légitime dans les mains de la direction et des supérieurs hiérarchiques, mais discutable et alarmante lorsqu’elle met directement en danger la cohésion du groupe. La forte responsabilisation allant de pair
58 « autocontrôle, fiches suiveuses, comptes rendus d'activité, fiches de temps, mise en contact direct avec la clientèle » (Detchessahar, M., op. cit.) 59 Detchessahar M., op. cit. 60 ibid
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS avec la prise de décision peut soit engendrer d’importants conflits sur la pertinence du choix de telle ou telle solution, soit un refus de communication pour « éviter l’explosion du groupe » et « ne pas pourrir l’ambiance », cachant tout de même un profond désaccord latent. Dans les deux cas, la communication ou la non communication peuvent amener à menacer sérieusement la solidarité du groupe.
e. L'organisation du « simulacre »
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Enfin, si l’on ne considère plus seulement le domaine des performances productives mais également la volonté de l’entreprise de constituer une réserve de sens et de bases identitaires et sociale dans son discours promotionnel, on constate là encore que le succès n’est pas total. Si l'entreprise a donc fait de sérieux efforts en termes de rationalisation de son fonctionnement, elle donne quand même le sentiment de n'apporter qu'un « simulacre de sens » à la perte des fondements identitaires, aux clivages et à l'affaiblissement des liens sociaux. Magli insiste sur la portée du « simulacre » de l’activité discursive et communicationnelle qui n'aurait comme principal résultat que de dissoudre les conflits dans un apparent consensus tout en conférant au pouvoir un « visage convivial qui renforce [ce] simulacre en lui donnant l'illusion du réel ». Pour elle, ces nouvelles stratégies relèvent plus d'un objectif de changement des salariés, en stimulant leur implication, leur « savoir être » et leurs « capacités adaptatrices » sous une apparente transparence du système, plutôt que d'un véritable changement des conditions de travail puisque ces techniques seraient finalement au service d'une plus forte régulation et codification des relations en entreprise.
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61 Magli R., op. cit. 62 ibid..
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2. L'expérience du risque psychosocial
Comme on vient de l’expliquer succintement, la communication et l’ouverture des espaces de discussion peuvent engendrer des coûts supplémentaires non négligeables pour les individus. Ces coûts traduisent notamment le fait que l’entreprise n’a pas encore réellement su concilier son architecture et ses objectifs traditionnels avec le tournant communicationnel engagé ces dernières années puisque les acteurs se retrouvent désormais coincés entre stratégies individuelles et stratégies collectives, entre autonomie et contrôle, entre implication, recherche de sens et organisation du simulacre. L’expérience de la communication, ou plutôt de ses limites a récemment révélé et fortement médiatisé de nouveaux problèmes : les risques psychosociaux (RPS) manifestations comme le stress et la pression ou encore les suicides au travail. Si cela va sans dire que les RPS ont un impact sur la santé de l’individu , la performance (et l’image) de l’entreprise sont également touchées . Sur le site officiel du Ministère du Travail, de l'Emploi et de la Santé, il est fait le lien entre l’apparition de ces risques et « l’absentéisme, le taux élevé de rotation du personnel, le non-respect des horaires ou des exigences de qualité, des problèmes de discipline, la réduction de la productivité, des accidents de travail et des incidents, la non-qualité (augmentation des rebuts et des malfaçons, etc.), une dégradation du climat social, des atteintes à l’image de l’entreprise… » Selon l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail, « un état de stress
63 Cf : définition dans l'introduction 64 Les RPS détiennent la première place dans les pathologies diagnostiquées dans les consultations de santé professionnelle (De Clavière et al, 2010) 65 Voir l'extrême médiatisation des suicides chez Renault, France Telecom ou encore à La Poste 66 http://www.travailler-mieux.gouv.fr/Stress-les-risques-psychosociaux.html
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et ses
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face. Bien que le processus d’évaluation des contraintes et des ressources soit d’ordre psychologique, les effets du stress ne sont pas, eux, uniquement de même nature. Ils affectent également la santé physique, le bien-être et la productivité » . Ce qu’on pourrait traduire dans le cadre de l’entreprise par un déséquilibre des représentations de l’individu entre les tâches confiées et celles qu’il se sent effectivement en mesure de réaliser, ce qui en soi constituerait un échec assez flagrant du management participatif s’il était utilisé dans les entreprises où travaillent les individus concernés… Mais le stress n’est qu’une des nombreuses manifestations des risques psychosociaux. Pour avoir une vue d’ensemble du phénomène nous allons donc tenter d’en terminer brièvement les causes.
67
La littérature existante les regroupe généralement en 4 grandes familles de facteurs liés aux conditions et à l’organisation du travail : « les variables de conception de l’organisation »
68
(Askenazy 2004, Decy 1975, Valeyre 2006), auxquelles il faut rajouter des facteurs privés ou « variables d’état » , extérieurs au travail et à l’entreprise, comme par exemple le soutien social (Johnson et al 1988, Karasek et al 1990, Lazarus et al 1984, Siegrist et al 2004).
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67 http://osha.europa.eu/fr/press/press-releases/041013_Stress_reaction 68 Sardas J-C et al, Les enjeux psychosociaux de la santé au travail. Des modèles d'analyse à l'action sur l'organisation, Lavoisier, Revue française de gestion, n° 214, p.69-88, 2011 69 ibid.
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Types et caractéristiques des situations qui peuvent favoriser l'émergence des risques psychosociaux dans l'entreprise
Type Exigences du travail et son organisation
Caractéristiques Autonomie dans le travail, degré d'exigence au travail en matière de qualité et de délais, vigilance et concentration requises, injonctions contradictoires Nature et qualité des relations avec les collègues, les supérieurs, reconnaissance, rémunération, justice organisationnelle Développement des compétences, équilibre entre vie professionnelle et vie privée, conflits d'éthique Conception des changements de tout ordre, nouvelles technologies, insécurité de l'emploi, restructurations
Management et relations de travail
Prise en compte des valeurs et attentes des salariés Changements du travail
Si ces facteurs n’ont pas été introduits à proprement parler par l’entreprise communicationnelle, il demeure néanmoins clair que celle-ci a pu fortement influencer leur développement par ambiguïté accrue dans des domaines tels que l’arbitrage autonomie/ contrôle, les relations de travail (entre solidarité et surveillance) ou même dans la prise en compte des valeurs des acteurs entre recherche de sens et organisation du « simulacre » (Magli, 2003). Et si les déclarations statuant que le renforcement des outils à visée communicationnelle aient pu augmenter la probabilité d’engendrer des phénomènes de RPS dans l’entreprise restent à l’état d’hypothèse, il est par contre largement vérifiable aujourd’hui que ces mêmes outils ne sont pas suffisants pour régler ces problèmes en aval et empêcher leur propagation.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS Comme on l’a vu tout au long de cette partie, les mutations de l’entreprise sur le « modèle de la réactivité »
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supposeraient le développement et le perfectionnement non plus
seulement des activités matérielles mais des investissements immatériels en savoir et intelligence (recherche informatique, ingénierie, formation etc.) pour se maintenir à un bon niveau de compétitivité (Bounfour, 2000). Parmi ces compétences immatérielles, la communication fait office de cheval de bataille de la restructuration des organisations. Elle repose sur le face à face et sur le dialogue dans des lieux réels ou virtuels (Detechessahar, 2003) et fait ainsi appel aux « dimensions représentationnelles et relationnelles du langage » (Girin, 1991; Cossette, 1998) et non plus seulement à sa « dimension utilitaire de véhicule d’informations ou d’injonctions » . Cette mise en mots des « représentations cognitives des acteurs » peut néanmoins se révéler problématique à certains moments. Sur le mode d’une ambiguïté nouvelle, exprimée par la rhétorique des injonctions contradictoires, des situations paradoxales de liberté/contrôle et des nouveaux coûts (cognitifs, politiques, sociaux et de responsabilisation) payés par les acteurs, la communication ne parvient pas toujours à être efficacement communiquante et les individus se retrouvent parfois plongés dans un flou organisationnel mal maîtrisé, susceptible de se traduire en risques psycho sociaux et en perte d'efficacité pour l'entreprise..
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Les frontières de l’espace de discussion ne sont clairement plus celles de l’organisation et appellent donc peut être à ce que de nouveaux outils soient mis en place pour créer un pont
70 Cohendet P., Llerena P., Flexibilité et modes d'organisation, Revue française de gestion, marsavril-mai 1999, p. 72-79 71 Detchessahar M., op. cit. 72 ibid.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS solide entre les « espaces de discussion » (Detchessahar, 2001a, 2003) et les espaces de production. Dans ces conditions et si l'on considère que le théâtre est, à l'image des pratiques décrites précédemment, un nouvel outil communicationnel mis au service de l'entreprise, on peut évidemment s'interroger dans un premier temps sur ce qui fait sa pertinence et sa légitimité en tant que tel. On tentera de comprendre en quoi le regard et l’approche du théâtre, en principe fondamentalement éloignés de ceux des organisations à finalité productive, peuvent-ils faire évoluer la pratique des activités discursives et langagières au sein de l’entreprise et peut être participer, dans une certaine mesure, à l’accompagnement du changement. Enfin on pourra se demander s'il n'est pas, lui aussi, sous couvert d'une approche qu'on a qualifié de révolutionnaire, une nouvelle arme du simulacre, assujettie à ce « visage convivial » du pouvoir (Magli, 1997). Contrairement aux autres pratiques spécifiquement développées pour l'action managériale, le théâtre en entreprise est une rencontre entre deux mondes, deux communautés de pratiques fondamentalement différentes, la question est donc de savoir si cet élément extérieur est réellement capable d'entraîner des dynamiques qui échappent à la logique classique de contrôle et de régulation, s'il est en mesure de dépasser « les formes d'organisation rigides et hiérarchisés » traditionnelles et/ou de concilier les « espaces de discussion » de l’entreprise communicationnelle moderne avec ses lieux de production (Magli, 1997).
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II. Quelle pertinence du théâtre pour l'entreprise communicationnelle ?
On a vu dans la première partie que les mutations de l’entreprise avaient amené les individus à voir les coûts de leur travail augmenter, le rendant « plus exigeant intellectuellement, souvent plus intense et potentiellement déstabilisant au plan individuel comme au plan collectif…» . Si ces évolutions des modes de gestion du travail ne fonctionnent pas, ou de manière partielle, c’est parce que l’entreprise n’a sans doute pas fait les efforts suffisants pour faire évoluer les relations d’emploi en parallèle, l’équilibre de cette équation constituant pourtant une nécessité pour bon nombre de théoriciens de la régulation (Boyer et Durand, 2004; Chambrier, 2000).
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En d’autres termes, la mise en place d’outils communicationnels ne peut fonctionner que si, d’une part, on construit symétriquement un « dispositif d’intéressement des acteurs à la discussion » et si d’autre part, les termes de l’engagement de l’entreprise vis-à-vis de ses salariés se redéfinissent à la mesure de l’évolution du travail demandé. S’agissant des engagements de l’entreprise au niveau des relations d’emploi, dans son étude sur l’entreprise communicationnelle Detchessahar invoque 3 incohérences principales : des
73 Detchessahar M., op. cit. 74 Sous la forme de rémunération, formation, gestion de carrière, sécurité de l'emploi etc.) 75 Detchessahar M., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS problèmes de rémunération, de pilotage de la performance des équipes et enfin de gestion de carrière. Des relations qui sont restées pilotées de la même manière qu’elles l’étaient dans l’organisation taylorienne, pour la plupart d’entre elles. S’il faut évidemment s’attacher à résoudre ces incohérences en mettant en place de nouvelles politiques de relations d’emploi, celles-ci doivent cependant nécessairement s’accompagner d’une solide politique de restructuration sociale et de refondement des rapports sociaux, un « chantier social dont on voit mal comment il pourrait être conduit en dehors du cadre de la négociation collective, compte tenu de l’appel incessant à la participation et à la discussion portée par les nouvelles logiques de travail » (Detchessahar 2003, Amadieu et Cadin, 1996). Aoki déjà, dans ses travaux sur la firme (communicationnelle) J insiste d’ailleurs beaucoup sur « la mise à jour de la politique sociale développée par la firme J et l’accent mis sur la cohérence entre les efforts demandés aux opérateurs et le système d’incitation en place». (Detchessahar, 2003). Ces refondements des liens sociaux au sein de l’entreprise sont d’autant plus importants que les acteurs de l’encadrement opérationnel ont accés à une autonomie renforcée dans leur prise de décision, sans pour autant être véritablement sensibilisés aux enjeux de leurs prérogatives en matière de gestion des ressources humaines, ce qui est susceptible de favoriser des situations conflictuelles entre les acteurs. (Peretti 1996; Huault, 1998, Detchessahar, 2003).
Pourtant, comme nous le dit Detchessahar, les démarches de l’entreprise pour s’ajuster et résoudre ces incohérences ont été relativement navrantes : « L’ampleur du travail à effectuer et les risques qui y sont associés en termes d’augmentation de la conflictualité dans l’organisation semblent avoir découragé bon nombres d’entreprises à ouvrir un vrai 2012 43/103
Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS dialogue social et les avoir convaincu de tenter de changer le travail, discrètement, en douce », en d’autres termes, d’organiser le « simulacre » dont Magli nous parlait. Que vient faire alors le théâtre dans tout cela ? De quelles sources une activité provenant du milieu artistique puise-t-elle sa légitimité à intervenir dans le cadre de l’entreprise ? Estelle vraiment pertinente pour traiter des réalités de l’entreprise qu’à priori elle n’est pas censée maîtriser ? En somme, quelle serait la définition du théâtre et de ses acteurs qui lui aurait ouvert les portes de l’entreprise ?
L’association du théâtre avec l’entreprise ne coule pas de source en effet, et ce aussi bien du côté des acteurs de l’entreprise qui pensent souvent que « Jouer, faire le clown, faire du théâtre ne saurait être considéré comme une activité sérieuse pour les gens sérieux que sont les adultes,les employeurs, les salariés d’entreprise » , que du point de vue des artistes qui estiment que « en jouant ailleurs que dans les salles qui leur sont consacrées, les artistes se compromettaient, perdaient leur créativité, leur identité, leur talent, comme s’ils vendaient leur âme au diable en quelque sorte » . Il existe entre le monde de l’art vivant et le monde de l’entreprise une défiance quasi originelle qu’il faut comprendre et dépasser pour tenter de dégager les bienfaits que le théâtre peut amener en entreprise. « Peut-être pour certains, le théâtre doit se jouer dans la confidence d’un cadre théâtral et non dans l’agitation besogneuse d’un building corporatiste. Je crains que ce genre de posture ne soit paradoxale avec la pratique artistique, voire articide » .
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76 Barthélémy-Ruiz C., Le jeu théâtral comme jeu de formation, et Leplâtre F., La formation se met en scène ou les mille et une vertus du théatre, Centre INFFO, Paris La Défense, 1996 77 Magli R., op. cit. 78 Baier L., Théâtre d'entreprise : outil communicationnel oou mariage contre nature ?, Mémoire de fin d'études, Lausanne, Avril 2010
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS Dans un premier temps, il s’agira d’identifier les sources par lesquelles l’homme de théâtre puise sa légitimité à intervenir dans le monde de l’entreprise, soit ce qui concrètement, dans son métier le rapproche des fonction du manager en entreprise. On étudiera ensuite, grâce aux travaux de Laurent Baier et de Melchior Selgiado sur ce sujet, les nombreuses analogies qui existent entre les pratiques théâtrales et managériales avant de se concentrer enfin sur la définition de ce que serait un bon théâtre d’entreprise entre ce qu’il a de commun avec les réalités de la gestion et des stratégies managériales et ce qu’il possède de fondamentalement éloigné à cet univers.
A. L'homme de théâtre, un 79 « andragogue légitime » ?
Les vertus didactiques du théâtre sont célèbres et comptent parmi les composantes fondatrices de son art. Michel Fustier nous apprend que dans la cité au temps de l’Antiquité, le théâtre servait déjà à « forger des valeurs collectives, souder le corps social, à exprimer les tensions, à faire surgir la contradiction, à résoudre les conflits… » , ce qui n’est pas sans nous rappeler les problèmatiques que le monde de l’entreprise expérimente actuellement. Pourtant, comme nous le rappelle Laurent Baier, lui-même acteur dans le théâtre d’entreprise, un grand nombre d’artistes perçoivent l’émergence d’un théâtre d’entreprise comme « la prostitution de l’art » et « beaucoup de managers et d’employés des sociétés
79 Baier L., op. cit. 80 Fustier M., Les débuts en France du théâtre « dit » d'entreprise, Centre Inffo, 1996 81 Comme ci à partir du moment où cette activité servait le monde productif et permettait à se faire soi- même de l'argent, elle ne pouvait plus être considérée comme de l'art
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS que j’ai pu rencontrer ne parvenaient pas à imaginer que le jeu d’acteur pourrait leur apporter de nouveaux outils professionnels (et personnels) ». La référence ludique faisant paraître l’activité comme futile, les hommes d’entreprise ne lui font pas confiance de prime abord. « Jouer qualifie une activité puérile, fantasque ou bohème » pour la plupart d’entre eux. Laurent Baier réfute ces accusations, pour lui « tout employé d’une entreprise dispose de compétences spécifiques qu’il a acquises par la théorie et/ou la pratique ; il est dépositaire d’un savoir faire. Il en va de même pour l’artiste ». Le mot art provient d’ailleurs du latin ars, artis, qui signifie « habileté, métier, connaissances technique ». Dans un premier temps, il nous sera donc utile d’envisager le théâtre sous l’angle de ses deux pistes de réflexion principales, autrement dit des deux qualités que les auteurs lui accordent généralement: la pédagogie et la communication, sans oublier évidemennent sa vocation à traiter de l'humain (Boal, 2004, Bosa, 1999, Leplâtre, 1996, Fustier, 1996, Pavis, 2009, salgado, 2008, Ubersfeld, 1996).
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1. La vocation pédagogique du théâtre à l'aune de l'histoire
On date le plus souvent la naissance du théâtre à l’époque de la Grèce antique. Et déjà, audelà de sa fonction de divertissement, on lui attribue des qualités pédagogiques : ainsi le théâtre serait « une mise en scène de l’Etat démocratique » qui viserait notamment à « inculquer des valeurs morales aux citoyens, à se pencher sur des problèmes de la vie en communauté par le biais de la mythologie le plus souvent. C’est un véhicule populaire d’idées politiques et religieuses » .
82 Baier L., op. cit. 83 Source : (http://www.e-olympos.com/theatre.htm#role)
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS Quelques siècles plus tard, au Moyen Age, on retrouve cette notion didactique dans différents genres théâtraux, religieux et profanes comme les Drames Liturgiques ou les Moralités (Baier, 2010, Pavis, 2009). Pendant la Renaissance, certains auteurs (tels Bellereau et Grévin) affirment par le théâtre une « intention militante et polémique ». On connait également bien les œuvres de Molière pour avoir porté la question éducative au goût du jour au 17 siècle , celles de Diderot au 18 , ou encore les pièces à thèses au 19 . Enfin l’émergence du théâtre d’Agitprop, du théâtre forum et d’œuvres d’auteurs tels que Adamov, Brecht ou Vinaver au XXe siècle prouve que l’activité n’a rien perdu de sa vocation instructive et didactique. De manière générale, les auteurs concèdent au théâtre une longue tradition formatrice, ce que nous résume Ubersfeld : « La tragédie grecque (et même la comédie) avait pour mission l’éducation du citoyen d’Athènes en tant que citoyen et en tant qu’homme privé ; les Jésuites faisaient du théâtre fans leurs collèges une distraction moralisatrice. Dés la fin du XIXe siècle, le théâtre peut jouer un rôle d’enseignement en matière socio politique (etc.) et contribuer à former un homme nouveau » . Pour Laurent Baier « la chose didactique étant une constante dans l’histoire du théâtre, les praticiens de cet art y sont sensibilisés de facto. Que ce soit lors de l’apprentissage du métier ou par sa pratique, les acteurs sont confrontés au problème de la transmission du message». Jean-Pierre Siméon affirme d’ailleurs que « la transmission devrait être, au théâtre, la pierre d’angle de toute expérience artistique ». On comprend donc pourquoi les
84 85 86 87 88 89 Épisodes de la Bible, joués en Latin Évoquent les étapes de la destinée de l'être humain à travers des figures allégoriques Baier L., op. cit. Citons par exemple L'école des Maris ou L'école des femmes Ubersfeld A., Les termes clés de l'analyse du théâtre, éd. Seuil, 1996 Siméon J-P., Quel théâtre pour aujourd'hui ?, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2007
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS hommes de théâtre (acteurs, auteurs ou metteurs en scène) ont pour première mission d’apprendre à transmettre leur parole aux spectateurs, à travers l’utilisation de divers outils, tels que : « la parole, le geste, la mise en scène, le choix du texte etc. » . Rappelons-nous, Voltaire nous disait déjà en son temps : « le théâtre instruit mieux que ne fait un gros livre» .
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2. De l'usage de la communication
A l’image du schéma communicationnel de Shannon et Weaver , Bernard Meyer affirme que la communication est composée de 3 éléments : l’émetteur, le message et le récepteur et « qu’une bonne communication se définit par une bonne transmission du message de l’émetteur au récepteur ». Définition à laquelle Shannon et Weaver ne font qu’ajouter des éléments de codage et de décodage du message. Si l’on considère que le théâtre utilise également ce schéma à trois axes dans la pratique de son art, on peut donc en conclure que le théâtre est un acte communicationnel, ce qui nous permet d’en déduire les trois points fondamentaux que Laurent Baier évoque sur l’acte théâtral. D’une part, les 3 éléments de la fonction de communication étant interdépendants, « il n’ y a pas de hiérarchie d’importance entre les fonctions d’acteur, de message ou de spectateur. Sans l’un, les autres perdent leur raison d’être » . Ce qui nous prouve bien que l’acteur n’est potentiellement pas cloîtré dans la salle de théâtre mais peut tout aussi bien être adaptable aux bureaux de l’entreprise et servir un message différent pour une audience
90 91 92 93 Baier L., op. cit. Voltaire, Les 3 manières, 1763 Cf. partie 1, L'entreprise communicationnelle Baier L., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS différente (et vice versa). D’autre part, lorsqu’il prend la parole devant une audience, on postule que l’acteur assume une fonction de communiquant, de pédagogue. Et enfin, on admettra qu’il est possible de rapprocher la représentation théâtrale et le domaine de la formation par un objectif partagé : « la transmission d’un propos » (Baier, 2010). De la même manière dans l’entreprise, le manager est un communiquant, s’adressant à un public constitué d’employés, dans le but de leur transmettre un message. Christophe Tournier aura d’ailleurs ces mots en parlant très spécifiquement de l’improvisation théâtrale : « L’improvisation n’est pas uniquement réservée à la scène et à des acteurs rompus à ses techniques. Pour chacun d’entre nous, elle peut être une redoutable technique de communication » .
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3. De la prédominance de l'humain
D’après le constat effectué précédemment sur les conditions de l’acte communicationnel, un dernier rapprochement peut également être effectué entre l’homme de théâtre et le manager dans l’entreprise. En effet, tout comme le manager est un gestionnaire de l’humain, l’art dramatique fait de l’homme le sujet et l’objet principal de sa science. Et comme le dit si bien Thévenet : « pour pouvoir agir sur le comportement des autres, il faut d’abord se connaître soi même » . Sachant cela, il devient évident que l’homme de théâtre doit être capable de développer une certaine forme de sensibilité et d’empathie vis-à-vis de son public puisque son métier (qu’il soit acteur ou metteur en scène) lui impose d’anticiper les réactions de l’audience selon la façon dont la scène est interprétée et jouée. Pour Baier, « c’est cette faculté qui lui permet de savoir si la façon dont il interprète une scène en accentue ou en brouille le sens »
94 Tournier C., Manuel d'improvisation théâtrale, Saint Martin Bellevue, Ed. de l'Eau Vive, 2004 95 Thévenet M., Quand les petits chefs deviendront grands, Les Editions d'Organisation, 2004
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS et c’est également le moyen de « déceler sur le vif, chez ses collègues et chez lui-même, les faiblesses d’un discours, savoir les mouvements du corps et ceux de la parole sont communs. En un mot, si le message est concret et intelligible ». Des qualités qui ne vont pas sans rappeler le métier de manager voire de consultant, tous deux amenés à constater les effets des impératifs de l’organisation en entreprise et de leurs discours sur le personnel. Leplâtre nous propose une synthèse en 3 points des apports du théâtre , pratiqué en formation initiale, sur la connaissance de l’humain et le développement personnel. En premier lieu, pratiquer le théâtre permettrait « d’appréhender l’individu dans sa globalité ». En effet l’individu use non seulement ses capacités intellectuelles mais engage également de fortes dimensions « affective et émotionnelle », qui le constituent intrinsèquement. Deuxièmement, puisque le théâtre se pratique notamment au travers d’ un acte de mimesis
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ou effet-miroir, c'est-à-dire par « imitation ou reproduction de l’action », il favorise l’empathie, la compréhension de l’autre et l’acceptation des différences. Grâce à des « identifications successives à des rôle différents », les acteurs sont mieux à même de comprendre l’humain dans ses émotions, ses questionnements et ses paradoxes. Enfin, la dimension ludique du théâtre, si souvent décriée, peut en fait être l’occasion de nombreuses acquisitions : selon Huizinga, le jeu « dans sa conception sérieuse et universelle »
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favorise la réconciliation, facilite l’apprentissage et permet une
dédramatisation par la prise de recul (Barhélémy-Ruiz, 1996). En d’autres termes, il faut apprendre à miser sur « l’importance du jeu dans toutes les activités sociales » .
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Leplâtre F., op. cit. Simonin M., Aristote, La poétique, Ed 2005 Huizinga J., Homo ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu, Gallimard, 1951 Cotta A., La société ludique, Grasset, 1980
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS Pour conclure brièvement sur la capacité de l’artiste du théâtre à accompagner et former l’individu, citons Baier : « Pour peu qu’il ait envie de partager cette compétence avec des apprenants, l’acteur est un intervenant privilégié de la formation d’adulte. Je ne dis pas qu’il naît enseignant mais que, les règles régissant l’échange interpersonnel étant au coeur de son activité, il est de fait un professionnel de l’art de dire, de formuler, de transmettre ».
B. « Les métaphores de l'entreprise 100 théâtrale »
Le raisonnement métaphorique ou par analogies consiste à juxtaposer des termes ou des exemples concrets pour dégager des points communs, « créer un réseau de similitudes » (Khun, 1993) et ainsi donner du sens à la description de la réalité. De nombreux auteurs ont par le passé utilisé cette méthode, que ce soit pour souligner la nécessité de considérer « les individus comme des acteurs » , pour montrer « l’importance du jeu dans toutes les activités sociales »(Cotta, 1980) ou encore pour comprendre les relations humaines à travers le jeu des acteurs (Goffman, 1973) . Selon Melchior Salgado , l’outil métaphorique fait véritablement sens en tant qu’outil de recherche « La métaphore n’est plus conçue comme un simple discours figuratif mais comme l’un des plus importants modes de compréhension du monde, c’est à dire un processus par lequel est compris et structuré un domaine » Dans le domaine des sciences
100 Baier L., op. cit. 101 Crozier et Friedberg., op. cit. 102 Goffman E., La mise en scène de la vie quotidienne, Tome 1 : La présentation de soi, Paris, Ed de Minuit, 1973 103 Salgado M., Le théâtre, un outil de formation au management, Revue de gestion française, Lavoisier, n° 181, p. 77-96, 2008
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS de gestion, la métaphore du théâtre a été utilisée auparavant comme « lentille cognitive » dans les recherches de certains auteurs qui voulaient « donner du sens à certaines situations de management
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». Dans le domaine de la stratégie et du management stratégique,
Corvellec (1995) rapproche l’entreprise et le théâtre en montrant que la stratégie d’entreprise est « jouée » par ses acteurs dans l’organisation. Nous allons utiliser ici la démarche métaphorique pour tenter de dégager différents axes de recherche sur l’utilisation du théâtre en entreprise en tant que méthode de formation, outil de gestion et axe de communication en dépassant le traditionnel et superficiel discours d’incompatibilité de leur 2 réalités. On postule donc qu’il existe effectivement des similitudes structurelles, humaines et méthodologiques entre les deux. Grâce aux recherches de Baier et de Salgado sur le sujet, nous allons premièrement tenter de démontrer que certaines formes de hiérarchies présentes dans l’entreprise existent également au théâtre ; deuxièmement, qu’il est possible de constater des similitudes entre « l’exercice de la fonction professionnelle et le principe d’incarnation d’un rôle au théâtre » ; et enfin que la notion de « mise en scène » est présente et déterminante dans les 2 domaines. (Baier, 2010, Salgado, 2008) Ces constats devraient par la suite nous permettre d’émettre une seconde hypothèse : si l’organisation de ces structures se révèlent plus ou moins semblables, il est possible qu’elles doivent faire face à des problèmes identiques, et donc que les solutions exprimées et vérifiées par l’une d’entre elles puisse servir également à l’autre. Nous concluerons donc enfin qu’il est possible de recourir aux techniques de l’art dramatique pour, d’une part, optimiser les performances des individus employés dans une entreprise (en termes de confiance en soi, maîtrise de l’expression orale et de l’écoute, amélioration de l’esprit
104 Parmi eux : Kendall et al, 1994 in Le Roy, 1997, Pine et Gilmore, 1999
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS d’équipe et de la vivacité) et d’autre part pour aider à résorber certains conflits et difficultés, notamment communicationnels, exprimés dans l’organisation du travail. Pour introduire ces comparaisons, étudions une métaphore générale, proposée par Christophe Tournier : « Faisons une analogie entre entreprise et une troupe de théâtre. L’entreprise a une stratégie, des dirigeants et des employés et développe des produits et services pour ses clients. Pour monter un spectacle, le théâtre formel utilise des scripts, des costumes et toute une machinerie. Les acteurs interprètent des rôles en fonction de leurs capacités et des opportunités. Le public n’a pas d’interaction avec le produit et ne participe aux résultats que lors des représentations, en fin de cycle ».
1. « Manager - metteur en scène et metteur en scène105 manager »
En premier lieu, il est possible d’attester que le manager et le metteur en scène partagent les lourdes charges d’autorité et de responsabilité du pilote de projet : ils doivent tous deux diriger une équipe au quotidien (acteurs et salariés) en participant plus ou moins au recrutement de ses membres, « mettre en actes » la stratégie de l’entreprise ou l’oeuvre, gérer son financement, assumer la responsabilité des résultats, en bref accompagner et coordonner toutes les phases de développement du produit (ou projet) de sa genèse jusqu’à sa réalisation (et son succés ou son échec). Les deux postes sont amenés à prendre en compte les différentes « parties prenantes » : clients et publics, salariés et comédiens, produits et services ou pièce de théâtre et doivent intégrer les questions liées aux rapports hiérarchique: contestation du pouvoir etc. (Salgado, 2008).
105 Salgado M., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS Dans ce contexte, on comprend bien que la personnalité du directeur/manager est primordiale (Calori et al, 1989) : elle va notamment conditionner ses décisions, ses relations avec l’équipe, sa légitimité à diriger (etc.) et parfois même l’amener à personnifier le projet. Pour ces individus, la connaissance des hommes et de soi même sont des atouts non négligeable comme nous le dit Salgado : « Composer avec soi-même est la première compétence requise pour réussir dans la direction d’entreprise ». Dans ce sens, les travaux effectués sur l’intelligence émotionnelle (Kets de Vries, 2003, Goleman, 2005) tendent à montrer que les compétences personnelles et sociales des managers sont primordiales pour juger de la performance des membres de leur équipe. On notera par ailleurs que dans l’univers de la gestion comme dans le monde du théâtre, il existe des noms prestigieux, dont les méthodes de travail sont reconnues et aprouvées par un grand de nombre de professionnel de ce milieu.
Pour Baier, cette fonction implique de prendre des décisions qui concernent aussi le bien le cadre du travail que la manière de travailler : « Lorsqu’un manager demande à ses standardistes de sourire au téléphone, lorsqu’un boulanger propose douze croissants à la dizaine, lorsque un chef-cuisinier coordonne le bal des ses marmitons, il s’agit de mise en scène »
Si ces 2 métiers partagent tant de similitudes, il existe donc, pour Michel Godet , des qualités sollicitées chez l’un et chez l’autre : « le manager-stratège », comme il l’appelle doit tout d’abord faire preuve d’une très grande capacité d’anticipation, primordiale également chez le metteur en scène qui doit prévoir les réactions probables du public. Le
106 Godet M., De l'anticipation à l'action, Dunod, 1991
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS manager doit également être capable de « traduire l’information en décision, puis en action », tout comme le metteur en scène qui interprète et met en actes le texte d’un auteur. Enfin, un manager doit pouvoir « mobiliser, impliquer et responsabiliser » (Baier 2010) les membres de son équipe en lui inculquant des valeurs communes de la culture d’entreprise ou lui spécifiant les termes de son contrat avec l’entreprise. Sur le même principe, le metteur en scène se doit d’optimiser le jeu de ses acteurs grâce à la mobilisation, l’implication, la confiance (etc.).
2. « Rôle » et « fonction » : des caractéristiques similaires
Une autre analogie peut être faite pour rapprocher les deux activités : la proximité des notions d’interprétation d’un rôle et d’occupation d’une fonction professionnelle est très représentative du concept « d’entreprise théâtrale » (Baier, 2010) . Dans la continuité des travaux qui insistaient sur la nécessité de considérer « les individus comme des acteurs » (Crozier et Friedberg, 1977), d’autres recherches plus récentes nous rendent compte des réalités des métiers de l’entreprise en montrant que « l’organisation s’apparente à une scène de théâtre sur laquelle chaque acteur social joue un rôle précis » (Salgado 2008, Calvo Riba, 2004). Pour Baier : « Le principe de rôle peut se comprendre comme le rapport entre une personne et la fonction professionnelle qu’elle incarne ». Il explique en effet : « Un enseignant se dévoile à ses élèves en qualité d’enseignant, mais la part privée de son identité reste discrète, car elle ne concerne pas ses étudiants. Il interprète le rôle – ou la fonction – d’enseignant. En laissant son public le percevoir par le prisme de son activité, il accepte d’interpréter le rôle de celui qui instruit ». L’intérêt de cette approche
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS analogique est que si l’acteur s’entraîne par différentes méthodes et exercices pour composer sa « partitition », son rôle, ces mêmes méthodes peuvent être utiles à des acteurs non théâtraux pour occuper leur « fonction ». Les répétitions de l’acteur lui permettent d’affiner l’inteprétation de son rôle et la transmission du message de son personnage grâce à une auto-évaluation constante de ses compétences techniques mais aussi à travers aux conseils de ses partenaires et de son metteur en scène. Ce que confirme Baier : « Il [l’acteur] tient compte des nouvelles propositions de ses partenaires pour réagir d’une manière innovante tout en gardant à l’esprit l’objectif de son personnage. ». De la même manière, grâce à une préparation adéquate, en s’inspirant des répétitions théâtrales par exemple, l’employé d’une entreprise « peut acquérir une meilleure maîtrise de son rôle professionnel, ce qui augmente l’efficacité de sa fonction » .
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Dans le même ordre d’idées, certains outils utilisés aujourd’hui en formation sont directement insipirés des techniques théâtrales, on y trouve par exemple le jeu de rôle, plus ou moins similaire à la technique de l’improvisation (sur une base donnée), l’entraînement en situation fictive, semblable à une répétition arrêtée ou enfin l’exercice en situation réelle, proche du « filage » ou de la répétition générale au théâtre.(Baier, 2010)
Cependant, la notion de rôle dépasse la seule pratique d’une profession ou d’une fonction puisqu’elle prend également en compte « la réception qu’autrui a de l’individu qui en fait son métier ». Il est d’ailleurs évident que l’image qu’un employé du secteur tertiaire renvoie à ses clients est fondamentale: la relation prestataire-bénéficiaire sera d’autant plus
107 Baier., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS productive que le prestataire saura jouer de son rôle et de sa fonction avec finesse. « Au théâtre, le jeu d'acteur concerne la capacité d'un acteur à représenter le personnage qu'il incarne avec le plus de véracité possible. Dans la transposition au service, le but est de créer une relation avec le client qui pourra se baser, par exemple, sur la confiance ou sur un sentiment de perfection de la prestation de service » (Baier, 2010). Baier prend l’exemple des métiers de la vente où finalement « la personnalité essentielle de l’interprète a moins d’importance que la « figure de vendeur» (ou « fonction de vendeur ») telle que le client la perçoit ». En d'autres termes: meilleur le vendeur interprétera son rôle de vendeur, meilleure sera généralement la vente.
Pour finir, l’interprétation d’un rôle (et les acteurs le savent bien) impliquant nécessairement un recul et une prise de distance par rapport à celui-ci, les employés de l’entreprise ont tout intérêt à s’inspirer des comédiens pour déterminer une frontière entre leur fonction et leur personnalité propre. A l’instar du costume comme nous allons le voir, cette prise de disance peut leur permettre de « garder un œil critique sur leur prestation et de l’améliorer » (Baier, 2010).
3. Aspects extérieurs et « mise en scène » : décorum, uniformes et prise de parole
Tout comme les techniques de la mise en scène, l’environnement et la culture de l’entreprise s’apparentent souvent au choix d’agencement du lieu de travail, des uniformes imposés ou même de la façon de communiquer. Baier explique : « L’agencement, le choix du mobilier, la luminosité, la liberté des mouvements qu’il induit ou contraint, sont 2012 57/103
Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS quelques exemples de décisions qui s’apparentent à de la scénographie théâtrale et donc d’une manière ou d’une autre au directeur. » Patricia Hugentobler fait ainsi un parallèle entre décorum théâtral et décoration d’un espace professionnel : « l'agencement du décor influence évidement le déroulement de la pièce. Pourtant basique, le fait qu'un élément lourd soit un obstacle est souvent oublié et négligé. Un meuble oblige l'acteur à le contourner, à dévier de sa trajectoire s'il veut continuer à avancer. Il en va de même avec les clients. Si l'habitude est de le placer de l'autre côté d'un bureau, il n'en reste pas moins un obstacle artificiellement créé » . Au sujet de l’habillement, il n’est pas rare de voir des entreprises imposer le port du costume sur le lieu de travail, qu’il est facile d’apparenter au déguisement au théâtre. « Pour un prestataire de service, l'habillement doit correspondre à l'esprit de l'entreprise ou du service. Un bon accord avec l'ensemble autorise un meilleur jeu d'acteur. Ainsi, le client, lors de sa première impression, sera déjà intégré à la prestation qu'il vient chercher »
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». Au-delà de la simple volonté d’exprimer « l'appartenance du costumé à une
entité spécifique », Baier y voit d’ailleurs une manière de protéger l’individu sous le costume, en bref, de séparer sa responsabilité entre d’une part sa fonction à titre professionnelle et d’autre part ses actes privés. Enfin, les apports du théâtre peuvent également s’étendre à l’enjeu le plus sensible de l’entreprise commnicationnelle : la communication elle-même. En effet, si l’art de l’expression orale est convoqué dans les deux activités, il n’est pas rare de trouver dans le milieu de l’entreprise des individus timides, peu à l’aise à l’oral ou à la prise de parole en public ou, autre cas de figure, disposés à la conversation mais manquants d’outils
108 Hungentobler P., Contribution de l'art théâtral à l'amélioration de l'expérience de service, Genève, CRAG, Haute Ecole de Gestion de Genève, 2007 109 ibid.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS d’expression générale (vocabulaire, grammaire etc.) , ce qui n’est généralement pas le cas au théâtre. Et ce pour une raison simple comme nous le confirme Baier : « Apprendre à s’exprimer, c’est apprendre à se faire comprendre. Or, le théâtre détient une grande quantité d’exercices visant l’amélioration des compétences oratoires. ». En effet, pour assurer et développer les qualités oratoires des acteurs, le théâtre mise énormément sur des entraînements destinés à améliorer leurs compétences communicationnelles en général. On notera notamment : « le placement corporel, la respiration, la pause de voix, la fixité du regard, la capacité à improviser, le sens du rythme etc.»(Baier, 2010). L’entreprise moderne et communicationnelle, probablement amenée à vouloir optimiser ces éléments chez ses employés, pourrait donc trouver dans les exercices théâtraux de nombreuses ressources le permettant.
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En conclusion et à la lumière de ces diverses analogies, on subodorera, à l’instar de Meisiek que le théâtre peut effectivement être un « outil de changement organisationnel au service des entreprises »(Meisiek, 2002).
C. L'aménagement du registre théâtral pour l'entreprise
L’art dramatique, comme on vient de le voir, dispose donc de certains outils qui seraient en mesure d’accompagner l’entreprise dans ses efforts d’accompagnement, de sensibilisation
110Outils normalement développés au cours de la scolarité
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS et de mobilisation de ses employés. Sous le terme théâtre se cachent aujourd’hui de très nombreuses réalités nées d’ échanges effectués à toutes les époques entre différentes cultures et différentes civilisations. Si le théâtre a longtemps symbolisé aussi bien la pratique théâtrale que le lieu même de sa mise en scène, aujourd’hui cette définition a évolué vers une déterritorialisation de la pratique. En d’autres termes la pièce de théâtre ne se trouve plus seulement au téâtre mais au café, dans la rue, dans les appartements (etc.). Le théâtre se trouve désormais n’importe où pourvu que des acteurs mettent en place un espace scénique qui les mette face à face avec une audience (que celle-ci l’ait voulu ou non comme lors d’un happening par exemple). En tant que pratique, il est le résultat de la volonté des hommes d’offrir un espace parallèle à la société, espace social et esthétique où celle-ci puisse se voir, se juger, se jauger, s’admirer, se convaincre, se plaindre, s’aimer ou se haïr, se divertir de l’absurdité d’une époque où rêver aux fictions inventées par une autre. En cela, le théâtre ne se résume pas. Cependant certains auteurs tentent toujours d’établir des listes (plus ou moins exhaustives) qui engloberaient les fonctions du théâtre. Parmi celles-ci en voilà une plutôt pertinente : « lieu cathartique et de purification, lieu miroir et symbolisateur, lieu d’identification, lieu d’action politique, lieu de contentement bourgeois, lieu révolutionnaire, lieu de représentation du réel, lieu de représentation du rêve et de l’imaginaire, lieu des vérités indicibles, lieu de simple « entairtainment », lieu d’improvisation, lieu de précision mathématique, lieu de complicité avec la société, lieu de « démasquage » de la société, lieu de « cruauté », tromphe du langage verbal, triomphe du corps, triomphe de l’espace scènique, stimulation du conscient, stimulation de l’inconscient… »
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111 Magli R., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS Il va de soi que les caractéristiques du théâtre décrites ci-dessus ne recouvrent pas l’ensemble des dimensions d’un art en constante écolution. De la même façon, « toutes les actions de gestion des ressources humaines, et les actions de formation et de sensibilisation dans l’enteprise ne relèvent pas de l’usage de ce nouvel instrument, de même que ce n’est pas « tout » le théâtre et ses techniques qui trouvent ici à s’investir » (Magli, 1997). Avant d’analyser les véritables enjeux et objectifs du théâtre en entreprise, il est donc nécessaire d’identifier quels sont les registres théâtraux appelés à servir l’entreprise. On retiendra trois impératifs principaux : l’étroitesse du champ sollicité, le soucis de pragmatisme et l’appui du registre comique.
1. Un registre expressif étroit
Dans ce vaste champ de pratiques et de formes, le théâtre d’entreprise a choisi d’adopter un « théâtre au registre expressif très étroit ». Une des raisons les plus probantes est certainement qu’ici le théâtre n’est toujours qu’un outil totalement dépendant de l’entreprise, qui se perçoit elle-même comme machine productive de concret et de rationnel, « où le réel est réel et non pas le fruit d’une projection fantasmatique ou imaginaire ». Dans ce contexte et si comme le dit Magli, on vit dans un système économique qui n’admet le changement que lorqu’il peut le contrôler (même si on le sait, ce n’est pas toujours le cas…), on comprend que le théâtre « ait choisi de se présenter avec un visage facilement reconnaissable, qui ne suscite pas de peur, qui soit facilement classifiable et par conséquent contrôlable » pour s’intégrer au monde de l’entreprise. Pour Magli, ce « visage » est notamment dessiné par les pratiques et les formes théâtrales les plus répandues et les plus socialement acceptées à notre époque et dans notre culture.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS Une dernière raison à apporter à la justification de l’utilisation de ce registre serait peut être «quelquechose comme un petit complexe de supériorité » (Magli, 1997). En effet, si le monde de l’entreprise prend parfois l’art et les artistes un peu de haut, les traitant parfois de saltimbanques ou se moquant de leurs douces rêveries, l’inverse est aussi vrai, et l’homme de théâtre au service de l’entreprise rationnelle considère qu’il détient un langage si transcendantal « qui peut parler de l’absolu, de l’infini et de l’abîme » qu’il se doit de le ramener à un niveau plus terre à terre, intelligible par les acteurs l’entreprise, habitués à s’occuper d’affaires concrètes…
2. Le soucis de réalité
Pour toutes les raisons exposées précédemment, la constante du théâtre d’entreprise est certainement et avant tout le théâtre de parole plus que le théâtre du corps. Le registre verbal est simple, compréhensible par tous, plus transparent que le registre corporel qui sert lui d’accompagnement discret, pour éviter les éceuils d’ interprétations plus longues, plus douteuses. Ainsi, dans beaucoup de représentations ou sketches, les comédiens sont tout simplement assis les uns en face des autres et discutent de leurs problèmes comme le feraient des employés entre eux. Le théâtre d’entreprise est généralement didactique et délivre souvent son message en 2 temps : les scénettes commencent de manière très traditionnelle, les acteurs mettent en scène une situation de travail puis dans un 2nd temps l’acteur le plus vieux, le mieux habillé, le plus « respectable » par l’autorité qu’il dégage se tourne vers le public ou vers le personnage emblématique qui doit « apprendre », « comprendre » ou « changer » (généralement le plus jeune) pour réduire les possiblités d’interprétations eronnées et
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS maintenir le contrôle sur le message à faire passer. Ce n’est donc que rarement que le spectateur est laissé libre d’interpréter ce qui lui a été donné à voir (Magli, 1997). De la même façon, la construction du décor témoigne également de ce soucis de réalité et de transparence par rapport aux véritables situations de travail. Le lieu scénique va donc le plus souvent reproduire fidèlement le lieu de travail (bureaux, salles de la machine à café etc.). Là encore, peu de place est donnée à l’interprétation libre et à la métaphore. (Baier, 2010)
3. L'importance du rire
Selon Magli, « les pratiques du théâtre d’entreprise emprûntent essentiellement au registre comique afin de rendre digestes des messages autrement difficiles à accepter et de capturer plus facilement l’attention et la bienveillance du public ». L’humour est en effet un élément essentiel du théâtre en entreprise car le rire qu’il produit permet de dédramatiser : dédramatiser un conflit, un changement structurel (délocalisation par exemple), ou les dysfonctionnements relationnels entres différentes positions hiérarchiques. En jouant sur les émotions subjectives des acteurs, le rire peut apparaître alors comme un excellent outil de communication. « Parce qu’il sollicite les émotions, l’humour est en effet un levier très puissant qui permet de modifier les représentations et d’entraîner des changements en profondeur », comme nous l’explique Céline Bottega . Pour Bergson, rire c’est « plaquer du mécanique sur du vivant » , mécaniser des relations censées être spontanées et non réfléchies. Le théâtre d’entreprise fait en sorte d’utiliser cet
112 Bottega C., L'humour est-il un outil de management ?, Humanisme et entreprise, n°288, juin 2008 113 Bergson, Le rire, 1900
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS apport mécanique pour jouer sur les stéréotypes existants dans la sphère professionnelle. Le comique dérive d’ailleurs très souvent de la parodie du réel, où l’on caricature des situations et des personnages selon leur position sur l’échelle professionnelle et où l’on n’hésite pas à jouer des clichés à tournure sexuelle (Magli, 1997). Voici l'illustration d'une situation de rire écrite par Elisabeth Bourguignat : « Cliton, en tant que chef de service, estime que son rôle consiste à maintenir la cohésion entre tous ses subordonnées ; aussi ne refuse-t-il son rire à personne : il rit toute la journée, d’un rire convenu, qui s’égrène selon une formule rythmique et musicale toujours à peu près identique. Personne ne peut se plaindre de ce que le chef n’a pas ri de sa plaisanterie ; personne ne peut jamais être vraiment sûr non plus de l’avoir fait rire sincèrement ; quelques-uns le suspectent de s’ennuyer souvent profondément au moment même ou il rit. » . On le voit bien dans cet exemple, le rire a une fonction sociale déterminante en communauté même (surtout) lorsqu’il est jaune, forcé, hypocrite etc.. La seule différence est que le théâtre d’entreprise transpose le rire : on ne rit plus dans la situation, on rit d’une situation et en tentant de faire prendre de la distance sur une situation donnée, cela permet en quelque sorte de mettre tout le monde d’accord. Pour conclure sur cette partie, on notera qu’à l’inverse de l’étroitesse et de la spécificité des champs requis, l’industrie du théâtre d’entreprise de manière générale est marquée par sa diversité : diversité de ses formes (théâtre sur mesure, clé en main etc.), de ses intervenants (consultants, comédiens, compagnies de théâtre, organismes de formation etc.) et enfin diversité des situations dans lesquelles les entreprises font appel à cette activité (congrès, colloques, réunions, assemblées générales, réunions de gestion de situation de crises etc.) comme on le verra dans la partie suivante.
114 Bourguinat E et Lorgnier A., Le rôle du rire dans les organisations, Compte rendu pour l'Association Les Amis de l'Ecole de Paris, rédigé par E. Bourguinat
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS On vient de le voir, les réalités des gens du théâtre et de leurs stratégies ne sont finalement pas si éloignées de celles des managers et employés de l’entreprise. Cependant, si l’activité théâtrale en entreprise connaît un tel succés ces dernières années, ce n’est pas seulement parce que les techniques de l’art dramatique ont finalement été jugés compatibles ou même utiles aux stratégies et méthodes de gestion des organisations, mais c’est surtout parce que les méthodes traditionnelles d’accompagnement et de formation des salariés se révelaient décevantes pour la plupart d’entre elles alors qu’elles constituaient une part très importante du budget de ces organisations. (Baier, 2010, Detchessahar, 2003) A ce sujet, Salgado nous confirme que « certains auteurs mettent en lumière l’inadéquation des méthodes traditionnelles
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de formation en raison de leur coût, du temps qu’elles
impliquent et de leur efficacité douteuse » (Salgado, 2008). Muchielli nous apporte quelques précision au sujet du changement qui doit être engagé dans les formations traditionnelles : « ce ne sont plus des connaissances universitaires qu’il faut à l’adulte, ce sont des compétences en situation […] un art de l’action opportune » . Cela confirme un constat généralement partagé sur le fait que la plupart des jeunes de la génération Y entrant sur le marché du travail sont qualifiés et armés techniquement et théoriquement pour effectuer individuellement leurs tâches mais manquent cruellement de pratique et de mise en situation collective, notamment en ce qui concerne la gestion et la compréhension des rapports humains ou des conflits inhérents aux activités en groupe, et d’autant plus dans l’entreprise communicationnelle. Enfin Savall et Zardet montrent en quoi les carences liées à la formation, notamment des méthodes inadéquates ou des besoins de formation qui ne sont pas comblées, expliquent de
115 Lorsque le professeur « compétent » ou censé l'être, « fait la leçon », ou expose le contenu et les participants se bornent à écouter et à apprendre 116 Mucchielli R., Les méthodes actives dans la pédagogie des adultes, 11e éd, ESF éditeur, 2008
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS nombreux dysfonctionnements, comme la démotivation du personnel, le mauvais climat de travail, les problèmes liés à la qualité ou l’insatisfaction des clients . Encore une fois, cela tend à démontrer que l’entreprise à oublié de prendre compte (au tournant de ses réformes structurelles) l’un des 2 termes de l’équation dont nous parlait Detchessahar, à savoir ses engagements (notamment en termes de formation et d’accompagnement) envers le salarié, qui sont restés pour la plupart archaïques et donc inadaptés à la nouvelle structure des organisations. Pourtant, dés 1991, Ehrenberg insistait sur l’importance de proposer un nouveau concept de formation qui favoriserait la responsabilisation des salariés afin qu’ils deviennent « entrepreneurs de leurs propres tâches » : « le participatif comme méthode de gestion et mode d’exercice de l’autorité est le registre sur lequel se focalisent les préoccupations des managers… L’implication du travailleur devient aussi essentielle dans la productivité et dans la performance de l’entreprise que l’était son exclusion dans la gestion bureaucratique » .
118 117
Ce constat conduit de plus en plus d’organisations et d’entreprises à privilégier des approches de formation innovantes nommées méthodes actives
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et dont le théâtre est
certainement l’une des formes les plus abouties : il favorise d’autant plus l’implication et l’intérêt du formé qu’il lui donne un rôle actif et le place au centre du dispositif de formation. Il n’y qu’a écouter Regis Hobe pour en être convaincu : « Les gens se font chier durant les formations d’entreprise. C’est long et on est assis et on écoute un type qui parle… Les scènes jouées remettent du dynamisme dans ces journées. Et puis, je termine là-dessus, le théâtre permet d’améliorer les feedbacks » .
117 Saval H., Zardet V., Mastering Hidden Costs and Socio-economic Performance, Information Age Publishing, 2008 118 Ehrenberg A., L'individu incertain, Pluriel, Hachette, 1995 119 Comme par exemple la consolidation d'équipe, le coaching, les jeux de simulation : méthodes qui utilisent plusieurs leviers tels que l'engagement et la motivation des participants 120 Entretien de Laurent Baier avec Régis Gobe, consultant en management et formateur en
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III. Le théâtre en entreprise :objectifs souhaités et effets constatés
Après avoir analysé les nouvelles dynamiques de gestion traversant l’entreprise communicationnelle et étudié les sources principales de légitimité d’une introduction du théâtre en entreprise, il devient maintenant indispensable d’essayer d’ébaucher une définition de ce que peut ou doit être le théâtre d’entreprise, l’utilisation de ce terme s’étant « répandue au travers de la presse, comme il en va souvent, avant même qu’on y ait réfléchi » .
121
Celle proposée par R. Magli nous semble tout à fait pertinente même si celle-ci admet volontiers que sa terminologie peut sembler quelque peu réductrice et orientée pour l’usage des médias (et du client potentiel) : « Originaire du Canada, le théâtre d’entreprise fait son apparition en France en 1988. Le terme théâtre d’entreprise résulte de la juxtaposition du terme théâtre, sous sa double acceptation d’art et de lieu, d’espace scénique de représentation séparant le public des comédiens, le réel du monde magique du spectacle, et du terme entreprise, comme lieu de travail où se retrouve une communauté poursuivant des objectifs déterminés, économiques et sociaux. Le théâtre d’entreprise met en scène communication. Dans le cadre des formations dispensées par sa société, M. Gobe fait souvent appel à des acteurs du monde du théâtre 121 Leplâtre F., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS l’entreprise en utilisant des pratiques théâtrales dans un espace esthétique séparant le public des comédiens. Cet espace scénique peut être à la fois délimité dans un lieu de production de l’entreprise ou dans un espace proprement théâtral. La représentation théâtrale met en scène l’entreprise, ses pratiques, ses rites, ses coutumes, ses codes, son langage, ou ses problèmes à travers un texte écrit et joué, ou improvisé par des comédiens (salariés de cette entreprise ou professionnels du spectacle imprégnés de la culture d’entreprise), mis en scène à l’attention de tous ou d’une partie du personnel de cette entreprise » .
122
Avant d’exposer les objectifs et les effets du théâtre en entreprise pour l’entreprise, il nous a semblé pertinent d’évoquer brièvement l’intérêt pour l’homme de théâtre d’exporter son art dans un univers qui ne lui est, a priori, pas familier. Comme on a tenté de le prouver tout au long de cette démonstration, le théâtre peut effectivement être un atout pour l’entreprise, mais on comprend moins en quoi l’entreprise peut avoir un intérêt pour le théâtre.
Tout d’abord, c’est bien parce que le terrain des organisations n’est pas le lieu classique de la représentation théâtrale qu’il est devenu un challenge pour les gens de cet art de repousser leurs frontières, déjà bien distendues, jusqu’au cœur de la machine productive. C’est l’idée inverse de « la prostitution de l’art »
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qui a poussé certains à considérer en
quelque sorte que l’art ne doit pas connaître de limites et que le défi, certes majeur, d’enjambement des frontières de l’entreprise, proposait en réalité à l’activité théâtrale de
122 Magli R., op. cit. 123 Baier L., op. cit
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS nouvelles possibilités d’expansion et d’expression. Par conséquent, il permettrait aux hommes de théâtre de repousser leurs propres limites en tentant d’atteindre une audience qui ne leur est pas forcément acquise dans ce contexte. Des auteurs tels Siméon considèrent par ailleurs que « gagner un public, c’est donc affronter des individus qui n’ont ni le besoin, ni le désir, ni la pensée de ce qu’on leur propose » . Deuxièmement, comme nous l’expose Baier, « le théâtre en entreprise est donc l’occasion pour le théâtre ordinaire de se faire voir. Et mieux encore, c’est pour lui l’occasion de se laisser dompter ». C’est donc une opportunité d’enthousiasmer des individus pour un art qu’ils ne choisiraient pas forcément de pratiquer ou même d’apprécier en tant que spectateur s’ils n’y étaient pas sensibilisés auparavant. Enfin, une dernière raison (et pas des moindres) a certainement propulsé la venue des gens du théâtre dans entreprise : l’argument pécuniaire. En effet il n’est caché à personne les conditions de précarité financière aves lesquelles la majorité des comédiens et metteurs en scène, les intermittents du spectacle en général, doivent composer s’ils veulent persister à vivre de leur art. Au sujet des revenus du comédien, Baier nous informe « son emploi est par définition discontinu ; son salaire suit la même courbe que son taux d’activité. Or, pour un jour passé en entreprise, l’acteur peut gagner l’équivalent d’une semaine de répétitions ».
124
S’agissant maintenant des intérêts de l’entreprise à faire appel au théâtre et à ses techniques pour optimiser la gestion de l’organisation du travail, même si on a tenté d 'en montrer objectivement la pertinence dans les chapitres précédents, on pourra néanmoins constater que le sujet a soulevé des doutes et des questionnements en termes d’efficacité de la
124 Siméon J-P., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS méthode et de véracité et transparence de la part de la direction au sujet des objectifs recherchés. Alors le théâtre d’entreprise est-il à l’image d’autres outils, une tentative de l’entreprise, de maintenir le statu quo ou de « changer le travail en douce » tout en dissimulant les vrais enjeux qui s’y cachentsous un nouveau visage « convivial du pouvoir »(Magli, 1997) ?Ou parvient-il, de par son concept original et sa provenance extérieure à l’entreprise à « bâtir une politique d’accompagnement » (Detchessahar, 2003), inexistante auparavant, en développant de nouvelles dynamiques sociales internes, nécessaires pour parvenir à rééquilibrer les termes de l’équation du travail ?
A. Les objectifs recherchés par le théâtre d'entreprise
Avant d'analyser les différentes typologies des pratiques théâtrales actuellement utilisées en entreprise, il est nécessaire de revenir sur les objectifs opérationnels tels qu'ils résultent des définitions sur l'entreprise d'une part et sur le cadrage du théâtre destiné à intervenir dans les organisations d'autre part. Pour ce faire, nous reprendrons les 4 points développés par Virgine Hume à savoir : « l'aide à la résolution de problèmes humains de l'entreprise », « l'aide à l'animation managériale », « l'aide pédagogique », « l'aide à l'analyse de l'institution »
125
et un cinquième point
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développé par Magli, « l'aide à la fonction parentale de l'entreprise ».
125 Hume V., Le théâtre d'entrprise, orgines et objectifs, Actualité de la formation permanente, n° 120, septembre-octobre 1992, Centre INFFO, Paris 126 Magli R., op. cit.
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1. L'aide à la résolution de problèmes humains dans l'entreprise
Les analyses de Detchessahar sur l'ère du communicationnel en entreprise nous ont montrées
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que l'augmentation des espaces de discussion en entreprise avaient par ailleurs
eu des effets sur les rapports sociaux dans ces organisations et avaient notamment entraîné des situations de conflits humains supplémentaires. La résolution de problèmes humains est comme l’admettent la plupart des intervenants, le premier et véritable objectif du théâtre en entreprise, pour Hume : «l’expression des désaccords, des critiques, des malaises par l’intermédiaire de personnages de sketchs ou de pièces permet de désamorcer le conflit en le mettant à nu ». Comme on le disait dans une partie précédente, le théâtre a pour sujet l’humain, par conséquent la prise de distance qu’il impose sur les situations de l’entreprise permet de traiter les conflits sous jacents et de dénouer les nœuds communicationnels qui affectent la performance des acteurs. Des individus qui en temps normal refuseraient la communication (par crainte des conséquences) vont, par le biais d’une activité qui a priori n’est pas en lien direct avec leur travail opérationnel et grâce à la dimension humoristique que cette activité véhicule, se réengager dans une conversation sur de nouvelles bases. Encore plus qu’une méthode pour apprendre à mieux s’exprimer et à transmettre un message, le théâtre peut être compris ici comme un miroir des obstinations humaines qui empêchent la mise en place du dialogue, une prise de recul qui favoriserait donc des attitudes d’ouverture et de réapprentissage de l’écoute de l’autre. Ce faisant, on peut imaginer que le théâtre d’entreprise puisse participer à la prévention des risques psychosociaux, le plus souvent liés aux incompréhensions
127 Cf : 1ère partie
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS humaines des injonctions de l’entreprise.
2. L'aide à l'animation managériale
Pour Detchessahar, il est clair que l’entreprise n’a pas encore réussi à formuler suffisamment de politiques d’accompagnement et d’encadrement des mutations de ses activités et de sa structure. Le théâtre d’entreprise pourrait ici faire office d’outil à l’accompagnement. S’il n’est pas véritablement le moyen du changement à lui seul, il permet néanmoins de « recréer la cohésion dans des cellules de travail éclatées » (Maglli, 1997). Le théâtre a donc vocation à « accompagner le management par l’animation » (Hume, 1992). Ce qui, en d’autres termes, revient à favoriser une nouvelle implication et une meilleure adhésion à la stratégie en communiquant plus efficacement, à travers le médium théâtral. Les recherches de Magli tendent à montrer qu’il «atténue certaines peurs en présentant les issues possibles et en assurant le public d’une manière réellement valable, parce qu’il montre l’action telle qu’elle pourrait être ». Ce qui revient à dire que « savoir en la voyant que la solution existe et qu’elle est réaliste suffit » (Magli, 1997). En d’autres termes le théâtre peut permettre, au moyen d’une démonstration visuelle, de rationnaliser une stratégie aux yeux des acteurs qui vont la mettre en place.
3. L'aide pédagogique
Parce que le théâtre sert de miroir de l’action humaine (par mimesis), il permet de prendre en compte et de traiter toutes les dimensions de l’agir humain, notamment dans ses composantes affectives et émotionnelles. Le fait d’associer l’affectivité de l’individu avec
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS son apprentissage n’est pas contre-productif, au contraire, il permet d’autant plus d’assimiler le message transmis car celui-ci va être mémorisé par l’individu sous 2 formes : pour l’amélioration objective de ses compétences d’une part et à travers une implication émotionnelle subjective d’autre part. Magli nous confirme dans ce sens que le théâtre constitue « une forme pédagogique nouvelle qui retient l’attention, provoque un choc affectif et permet la mémorisation du message. » Pour elle, c’est un moyen de prendre en compte « la dimension irrationnelle de l’entreprise », en d’autres termes de s’intéresser aux affects et aux émotions qui dépassent le seul cadre objectif de l’institution productive. Encore une fois, le théâtre est un moyen de parler de tout, même de ce dont on a parfois peu conscience et peu tendance à extérioriser sur le lieu même du travail : les enjeux émotionnels.
4. L'aide à l'analyse de l'instituion
Pour hume, le théâtre a aussi vocation a faire émerger les dimensions irrationnelles de la culture d’entreprise et leur donner du sens, c'est-à-dire, encore une, fois, traiter la part immergée de l’organisation à travers ses « rites, coutumes, tics de langage etc. ». L’activité théâtrale permet donc de jouer « d’une manière vivante, réaliste, divertissante, et parfois, provocatrice » sur « l’irrationnel, la partie cachée de l’institution qui ne peut pas être mise à plat dans un discours ou une analyse classique ». Selon Magli, cette aide à l’analyse peut être considérée comme un « audit de l’organisation » et elle s’adresse tout particulièrement aux « orateurs » de l’entreprise, c'est-à-dire au personnel dont la fonction langagière est particulièrement sollicitée. Elle peut leur permettre de réajuster leur manière de communiquer sur l’entreprise et ses stratégies en fonction de ce qui a été mis en évidence (les « forces et faiblesses de l’institution ») lors de l’activité théâtrale. 2012 73/103
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5. L'aide à la fonction parentale de l'entreprise
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Aux 4 points précédemment énoncés par Hume, Magli ajoute un objectif supplémentaire pour le théâtre d’entreprise, ce qu’elle appelle « l’aide à la fonction parentale ». D’après les analyses que nous avions préalablement faites sur les définitions générales de l’entreprise, on se rappellera que Magli avait déjà mis en évidence l’intérêt social de l’organisation productive, cette « image mythique d’entité productrice d’identité et de sens ». Dans le même ordre d’idées, elle considère donc que l’introduction du théâtre peut amener à restituer cette vocation à l’entreprise qui trouve à travers l’art dramatique une nouvelle forme de « célébration » de sa dimension identitaire et sociale. On retrouve ici tout ce qui a été dit auparavant sur l’association entre le côté paternaliste de l’encadrement par des valeurs communes et de la compréhension des contraintes objectives de l’entité productrice, et de la dimension plus maternelle, destinée à promouvoir l’acteur de l’organisation en tant qu’individu doué de raison mais aussi d’émotions. Au final, tous les membres de l’entreprise, peu importe leur rang, doivent tous avoir « le statut de fils également aimé par leurs parents ».
Quel que soit l’objectif et la façon dont le théâtre en entreprise est mis en œuvre par l’équipe de comédiens, il existe une procédure précise et commune à la grande majorité des interventions théâtrales. Tout d’abord, l’entreprise doit établir un cahier des charges avec le message qu’elle veut faire passer ou le conflit qu’elle cherche à résorber, puis elle effectue ensuite la sélection de la troupe « sur la base de présentation du type
128 Inspiré de Magli R., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS d’intervention et de l’approche » , cette dernière rédige ensuite un scénario après s’être entretenue avec le « public cible » approbation finale.
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qu’elle soumettra enfin à la direction pour une
Après avoir explicité ces différents objectifs, nous allons maintenant tenter de dégager et d’analyser les effets véritablement constatés du théâtre en entreprise, au moyen d’entretiens réalisés avec les professionnels du secteur. Nous n’avons pas, au cours de notre développement, traité des questions de typologies des interventions théâtrales. Ce n’est pas une omission mais nous avons jugé que l’explicitation du déroulement de chaque type d’interventions n’apportait pas d’éléments de réponse supplémentaires sur les enjeux du théâtre en entreprise, et, de ce fait, n’était pas d’un intérêt capital pour notre travail .
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B. Le théâtre en entreprise dans la 132 pratique : les effets vertueux
Nous abordons la partie empirique de notre travail de recherche, celle-ci s’est basée sur des entretiens semi-directifs avec les comédiens et metteurs en scène du théâtre d’entreprise qui ont eu l'amabilité de me recevoir et de me faire part de leur métier ainsi que des réactions des entreprises face à leur travail. Ne seront évoqués ici que les impressions et discours les plus éloquents par rapport aux enjeux qu’on cherche à analyser. Nous
129 Baier L., op. cit. 130 Baier L., op. cit. 131Cf : Annexe 1Typologie des représentations de théâtrales 132Cf : Annexe 2 Réaction des entreprises après des interventions théâtrales de « Com en Boite »
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS reprendrons également par moments les études empiriques et entretiens réalisés par les chercheurs ayant eu à traiter de ce sujet. Comme nous allons le constater dans ce premier moment, beaucoup (hommes de théâtre et hommes d’entreprise) s’accordent pour constater des effets positifs que le théâtre a effectivement eu sur l’entreprise, particulièrement dans le domaine des relations humaines et de la communication. Néanmoins, nous verrons dans un deuxième temps que certains objectifs (cités dans la partie précédente) assignés théoriquement au théâtre d’entreprise ne sont pas ou que partiellement réalisés, moins considérés par leurs acteurs (du théâtre et de l’entreprise), et certainement moins réalistes dans leur définition stratégique. Enfin, nous aborderons les questions relatives aux changements introduits par le théâtre dans l’entreprise et nous essaierons de déterminer si celui-ci peut introduire de nouvelles dynamiques dans l’organisation ou si, au contraire, il participe au maintien du statu quo.
1 Sur le statut général et les vertus pédagogiques
Premier constat au sujet du statut du théâtre en entreprise, statut contesté, décrié, à l’image de la question que pose Yves Guerre (Théâtre Arc en Ciel) et qui résume de manière très claire la problématique de notre analyse présente: « cherche-t-on à créer un marché, comme il a pu exister, il y a une vingtaine d’années, un marché du développement personnel dont on a compris (et pas encore totalement) qu’il était saturé de bon nombre d’escrocs…? ». Question à laquelle Yves Guerre répond lui-même : « Tous les professionnels un peu sérieux savent depuis belle lurette que la méthodologie théâtrale, via Moreno, voire Kurt Lewin, a pénétré pratiquement dans toutes les sphères de notre société 2012 76/103
Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS et qu’elle rend des services plus ou moins bien adaptés jusque et y compris dans le domaine de la thérapie » . De manière générale, pour les entreprises ayant eu recours à l’expérience théâtrale, la question du statut n’est plus remise en cause et le constat de succès des interventions est assez partagé, comme en témoigne M. Régis Gobe dans son entretien avec Laurent Baier : « Pour moi, le théâtre est un outil qui permet de montrer des choses plus que de les dire. C’est un beau miroir. En plus, l’humour désamorce l’agressivité, ce qui fait qu’en étant malin on peut tout dire. Même le pire . Le théâtre n’a pas la rudesse qu’a par exemple un « feedback ». Ca marche comme une « Revue », en rigolant on montre ce qui ne va pas ». Il insiste d’ailleurs sur les qualités pédagogiques de l’activité : « Je crois que ça a fait grandir notre entreprise. Le théâtre facilite le transfert des connaissances et des acquis. Et pour nos formateurs, ça leur a appris à être plus libres, plus théâtraux. Ils ont de meilleures capacités à transmettre ».
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Pour M.. Luc Simonnet, directeur artistique et scénariste de l'entreprise « Cinescène », il est clair que lorsque les entreprises font appel à eux pour transmettre un message et accompagner le changement ou la formation, les membres de la direction sont le plus souvent « en demande d’autodérision » et ce, non pas parce qu’ils cherchent à manipuler leur audience mais car ils pensent sincèrement que cela peut, avec une note de légèreté, « fluidifier les relations en entreprise ». C’est d’ailleurs pour cette raison que, la plupart du temps, « la confiance accordée » aux gens du théâtre est grande et qu’il n’existe pratiquement « pas de censure ». Lorsque cela lui est pourtant arrivé, M. Simmonnet explique qu’il a du engager une longue et virulente discussion avec le « dircom » de
133rMagli R., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS l’entreprise concernée, pour lui expliquer qu’il serait contre productif de proposer une intervention qui serait perçue par tous comme de la manipulation. Celui-ci a fini par acquiescer.
2.Sur les moyens de prévenir et de lutter contre les risques psychosociaux : liberté, communication et reconnaissance
Le théâtre en tant que pratique trouve donc sa légitimité à entrer dans l’entreprise et comme le constate Catherine Cosson, la fondatrice de l’école internationale du rire, « la médiatisation du problème du stress professionnel et des risques psychosociaux a fait décoller les demandes » .Justement, si l’on s’intéresse aux expériences théâtrales qui ont vocation à être, plus que du divertissement ou un outil de formation, un moyen de prévention des risques psychosociaux , comment peut-on juger de leur efficacité ?
135 134
Pour Celine Bottega, professeure de management, la pertinence de ces interventions lorsqu’elles sont destinées à la « prévention du stress » s’explique surtout par « la neutralité et la distance du regard d’un tiers », surtout que cela « évite aux managers d’altérer leur crédibilité en utilisant eux-mêmes l’humour de manière inadaptée » . Selon M. Simonnet, c’est grâce à « la liberté que l’exercice théâtral permet aux gens de prendre » que celui-ci rencontre son efficacité. En d’autres termes, c’est parce que l’activité théâtrale,
134 Cosson C.in Enquête, Entreprise et carrière, n° 1011-1012, du 20 juillet au 30 août 2010 135 Voir annexe (Typologie de Baier : spectacle à situation de crise, skecthes d'entreprise, jeux de rôle et mise en situations fictives ou encore interventions en situations réelles) 136 Bottega C., op.cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS par sa distance et sa dimension humoristique, invite les individus à prendre la parole avec plus de franchise qu’à l’accoutumée qu’il parvient à faire poser les bonnes questions et faire émerger les vrais enjeux qui pèse sur la communication (ou la non communication) dans l’entreprise.
Mais l’impact du théâtre dans l’entreprise va parfois plus loin que la simple acquisition de cette « liberté de parole ». M. Simonnet nous évoque à ce sujet une expérience théâtrale dans le milieu hospitalier, à Paris : « c’est un milieu empreint d’une très forte violence, à la fois psychologique et sociale. Lorsque nous sommes intervenus, le personnel hospitalier s’est rendu compte que la direction avait conscience de ce qu’il subissait au quotidien. D’ailleurs, dans les mois qui ont suivi, on nous a appris que les inscriptions aux formations dans leur service s’étaient multipliées. ». Les effets du théâtre se situent parfois dans la seule perception qu’ont les acteurs de la reconnaissance de leur métier. On le constate dans un milieu où les « coûts »
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supplémentaires engagés par la communication sont d’autant
plus importants que la symbolique des enjeux liés à la santé de l’être humain est forte. "Dans le même temps, il est nécessaire de faire primer l’équipe sur l’individu mais aussi d’individualiser la reconnaissance » comme nous le confirme Michel Nekourouh , et on le conçoit d’autant plus dans le milieu médical. L’hôpital est en effet un lieu où les individus, membres du personnel, ont à leur charge de très lourdes responsabilités (la vie humaine) impliquant de nombreux risques, où les décisions doivent parfois être prises, par manque de temps, sans aval du supérieur
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137 Tels que définis par Detchessahar M. (cf partie 1) 138 Nekourouh M., Les 100 du management moderne, Coll. Cahiers des Performances, Ed. Katamaran Entreprise, 2010
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS hiérarchique, ce qui peut conduire les décisionnaires à se rendre déviants (et donc de responsabilisation accrue puisque leur travail ainsi que celui de tout le service concerné peut être mis en jeu. Il est donc évident que le sentiment de reconnaissance (du travail, de l’implication et des enjeux) de la part de la direction est primordial pour des individus évoluant dans un tel milieu mais on comprend bien que le maintien d’une bonne communication entre les membres du personnel est également plus que nécessaire.
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Là aussi, le théâtre peut avoir son rôle à jouer comme nous l’explique M. Simonnet : « Nous sommes intervenus dans un autre hôpital, (Trousseau à Paris) . Ca a été très dur, le climat était particulièrement mauvais entre les grands pontes de l’hôpital et les aides soignantes qui se sentaient quotidiennement disqualifiées à cause de très mauvaises relations de travail entretenues avec leurs supérieurs hiérarchiques. La séance théâtrale a fait l’objet de débats très violents entre les uns et les autres, mais ça a finalement été pour eux le moyen de s’exprimer sur des problèmes qui n’avaient jamais été posés clairement avant, par eux, ou par la direction. ». Le théâtre a permis ici de soulever les incompréhensions de part et d’autre et d’envisager les dysfonctionnements sous une forme plus claire, non plus de l’apanage des représentations individuelles de tout un chacun mais oralement énoncés et entendus par tous. Cela engagé un travail de communication qui n’avait pas été effectué au préalable et a peut être par là même réussi à renforcer la cohésion, entre les membres du même corps hospitalier évidemment mais aussi peut être entre les membres des deux corps opposées, obligées ici de s’écouter et de travailler à s’entendre.
139 Voir à ce sujet les travaux de Honoré L sur la déviance dans les organisations 140 Hôpital pour enfants à Paris 141 On parle ici des médecins chefs de l'hôpital
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C. Les limites des compétences du théâtre dans le cadre de l'entreprise
Même si nous avons tenté de déconstruire, tout au long de cette analyse, les préjugés qui existaient de part et d’autre sur l’incompatibilité entre l’art dramatique et l'action dans l’entreprise, il n’en demeure pas moins que ceux-ci existent et ont parfois, dans une certaine mesure, des raisons d’être fondés, comme on va le constater à présent. Cependant, et on s’en rendra bien compte dans un second moment, ce qui freine véritablement la réalisation des objectifs du théâtre en entreprise ne réside non pas dans la pratique même de cette activité, mais repose sur des facteurs exogènes à l’écart entre théorie et usage.
1. Des limites à la pratique
a. Du côté du théâtre et des acteurs
Pour M. Simonnet, le métier d’acteur ou de metteur en scène pour l’entreprise « nécessite une très forte réactivité et ouverture d’esprit ». Et, fait considérable : s’il existe aujourd’hui de plus en plus de metteurs en scènes spécialisés dans la réalisation théâtrale pour l’entreprise,
142
, on notera tout de même que le métier de comédien d’entreprise n’existe
pas et que par conséquent le choix de la troupe ou des comédiens qui vont intervenir dans l’entreprise est laissé au bon jugement du metteur en scène, parmi toute la population d’intermittents du spectacle. Si on se doute qu’il existe un certain nombre de réseaux auxquels ces mêmes metteurs en scène font appel la plupart du temps, on comprend bien
142 Parce qu'ils travaillent à temps complet dans une société de coaching, de conseil ou de théâtre en entreprise
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS que si l’acteur est mal choisi, parce que ses valeurs sont en contradiction avec celles de l’entreprise ou parce qu’il ne « croit pas aux vertus de sa prestation » (Baier, 2010), toute l’intervention risque fort de se baser sur un dialogue peu crédible et de se révéler au final contre productive. Dans un premier temps, il faut donc s’assurer que le comédien choisi ait effectivement l’ouverture d’esprit requise pour sa fonction.
De la même manière, le comédien doit être attentif à ses capacités à être un bon pédagogue, c’est-à-dire dans ce cas précis, un enseignant qui s’ignore, plus « médiateur » que « créateur » (Baier, 2010). Comme le rappelle Baier « le public ne vient pas pour admirer sa prestation, c’est lui qui vient pour favoriser l’émergence de celle du public ». La discipline du théâtre en entreprise requiert donc de l’acteur que celui-ci, assez paradoxalement, s’efface devant son audience pour remplir ses objectifs, ce qui a « de grandes chances de troubler les habitudes de l’artiste et de le désorienter » (Baier, 2010). Cela peut finalement entraîner des situations assez ambigües, surtout dans le domaine de la formation, et c’est d’ailleurs ce que l’on retrouve dans la majorité des entretiens réalisés avec des professionnels : l’idée qu’il existe presque tout le temps une forme de défiance ex ante de la part de l’audience visée, sur le thème « on n’aime pas que l’on nous apprenne à faire notre métier » . Or, comme nous le dit M. Simonnet « Le comédien reste un outil pédagogique, ce n’est pas un formateur, même si on a de plus en plus tendance à le considérer comme tel ». Un comédien sur scène au théâtre sait que toute l’attention est portée sur lui parce qu’il maîtrise le langage de l’art dramatique, mais cette maîtrise n’en fait pas pour autant un bon pédagogue dans une activité de formation en entreprise. Baier nous rappelle par ailleurs que « l’acteur doit garder à l’esprit que, toutes optimales soient143François Chabert, directeur artistique et scénariste de l'entreprise Com en Boîte
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS elles, ses compétences théâtrales ne sont qu’un soutien à un travail plus complexe puisque dans la locution « théâtre d’entreprise », les deux termes ont la même valeur. ». Le comédien doit donc toujours avoir à l’esprit qu’il évolue dans un cadre particulier, différent de celui de la scène de théâtre et qu’il doit donc faire un effort de compréhension du langage utilisé en entreprise ainsi qu’un effort d’acceptation dans le sens où son audience peut en savoir autant voire plus que lui sur les enjeux qu’il cherche à souligner. Par conséquent « le comédien doit parfois admettre des concessions sur ses exigences techniques, sur la qualité de l’écoute du public et sur le manque de finesse de son texte, par exemple. L’enjeu principal de la représentation n’est pas de nature esthétique mais socioprofessionnelle » (Baier, 2010).
Si l’on repense au métier d’acteur tel qu’il s’entend généralement hors de l’entreprise, où beaucoup de qualités sollicitées ont attrait au côté créatif, passionné, esthétique du comédien, et qu’on effectue ensuite la comparaison avec ce que l’on vient de décrire sur les pratiques théâtrales en entreprise, on se rend alors compte à quel point la réduction du métier à une forme de pédagogie dissimulée sous des éclats de rire peut être frustrante pour le comédien en question, d’autant plus si celui-ci est le sujet d’une forme de « susceptibilité de l’artiste »
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comme définie par Patricia Hungetobler. D’où l’absolue
nécessité d’embaucher des « comédiens- pédagogues » qui ont bien compris leur mission d’une part mais qui soient aussi « réactifs et ouverts d’esprit » d’autre part, pour accomplir cette démarche avec succès, comme nous le résume François Chabert. Le respect de ces conditions devrait permettre d’éviter les écueils dus à des prestations improductives telles que celle expérimentée par Régis Gobe : « on a eu des retours négatifs
144 Hungentobler P., op. cit.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS de participants qui avaient trouvé que l’acteur était trop caricatural, trop comédien, pas assez connecté à l’entreprise. L’acteur jouait un rôle dur et il s’est « planté » dans sa prestation. Au débriefing l’acteur s’est fait démolir par les participants et nous on a eu un mauvais feedback. Ça c’est le risque du comédien, de sur jouer ». De même, M. Simonnet nous explique que la majorité des critiques qu’il a pu recevoir pouvaient se résumer de la manière suivante: « plus de sobriété, ne pas en faire trop ». Comme le dit finalement Baier « Il convient donc, pour l’acteur, de ne pas se tromper de mission. L’excellence de son jeu ne doit pas prédominer sur la fonction didactique de sa prestation ,au risque de diluer l’impact de son message ».
b. Du côté de l'audience dans l'entreprise
En ce qui concerne l’audience, on part du principe que celle-ci, amenée à considérer l’intervention théâtrale dans le cadre et parfois sur le lieu même de son travail, peut éprouver des difficultés à rentrer dans le jeu, à s’oublier en quelque sorte, pour participer à l’activité de manière directe, lorsque celle-ci le permet . Pour Baier, « le self-control prôné, sans doute à juste titre, par la plupart des professions rentre en conflit immédiat avec cette démarche d’abandon de soi ». Comme en témoigne également M. Chabert : « on a parfois du mal à les décoincer au départ». On peut invoquer la peur du ridicule, peur du conflit, voire même peur de la communication, d’autant plus si le climat interne à l’entreprise est déjà mauvais (ce qui justifie d’ailleurs l’intervention théâtrale si celle-ci se révèle performante). « Bien qu’en temps de crise dans l'entreprise, l’intervention soit plus prégnante que dans une entreprise ou « tout va bien », elle en sera aussi plus difficile », nous résume Baier.
145 Voir annexe Typologie des pratiques (Ex : les ateliers théâtre où il est possible d'intervenir et de donner son avis sans obligatoirement monter sur scène)
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS Ce constat de manque d’implication peut encore s’aggraver lorsque le public n’a pas choisi de l’être et a été sommé par sa direction de participer à l’activité théâtrale. Sur ce point, Noël Antonioni
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(dans un entretien avec Baier) déclare : « nous remarquons une grande
différence de qualité d’investissement avec les clients qui ont été obligés de participer à cette formation et ceux qui y sont venus d’eux-mêmes ». Comme le confirme François Chabert, sont plus visés ici les ateliers de formation que les événements types séminaires qui, avec « beaucoup d’alcool et de petits fours », attirent les volontaires plus aisément. Pour résumer, ces hiatus entre hypothèses théoriques et usages pratiques existent bel et bien mais peuvent être évités si le choix des collaborateurs est bien effectué et si un travail de préparation à l’implication est effectivement mené des deux côtés. Ou se trouvent alors les véritables freins à la réalisation des objectifs tels qu’énoncés par Hume et Magli ? Dans ce second temps, nous allons voir qu’ils sont, la plupart du temps, extérieurs à l’intervention théâtrale en tant que telle.
2. Limites à la réalisation des objectifs
a. Hiatus entre outil déclencheur et solution durable
Comme on l’a vu, le théâtre en entreprise est un moment, avec un début et une fin définis, dans une entreprise qui, elle, ne cesse pas d’exister à la fin de la représentation. Le suivi réalisé par l’entreprise constitue donc, pour la majorité des observateurs et acteurs de ces deux univers, le principal enjeu constaté.. En effet, quand Detchessahar nous parlait d’une politique d’accompagnement pour l’entreprise, on se doute qu’il ne réduisait pas cette idée
146 Entretien de Laurent Baier avec Noël Antonioni, acteur, dramaturge et metteur en scène. Il pratique le théâtre en entreprise et la formation d'adullte avec sa compagnie « Théâtre Forum »
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS à une simple représentation théâtrale. Le théâtre en entreprise se situe bien souvent en amont d’une telle politique. Pour faire écho à Jacky Martin, cité en accroche à ce travail, il faut citer Aurélien Lorgnier, lui-même acteur et metteur en scène reconnu de théâtre en entreprise (chez Inergie, cabinet de conseil en management) : « nous sommes là pour faire émerger des problématiques, pas pour apporter des réponses, ni faire passer des messages. C’est ensuite le travail - un travail de plusieurs mois - des managers de reprendre et de travailler sur cette matière. En l’absence – fréquente – de ce travail, les interventions des professionnels de l’humour risquent de rester cantonnées à un rôle de soupape, et les brèches ouvertes par le rire, de se refermer bien vite ». Cela équivaudrait à réduire drastiquement les objectifs assignés aux comédiens dans ce cadre et les renvoyer au premier sens de leur métier : le divertissement. Ce qui paraîtrait d’autant plus illogique que ces comédiens auront eux même été formés au préalable pour répondre aux besoins de l’entreprise, transmettre leur message, et parfois, faire émerger des tensions internes auparavant dissimulées ; ce qui serait finalement contre productif pour l’entreprise concernée qui devrait alors faire face aux mêmes problèmes, à la différence qu’une fois les tensions et les dysfonctionnements formulés, il est d’autant plus probable qu’ils fassent l’objet de conflits violents s’ils ne sont pas pris en compte par l’entreprise. Imaginez qu’un médecin vous diagnostique une maladie sans vous donner de traitement, cela ne suffit évidemment pas à soigner votre maladie. Les réponses de M. Simonnet sont également assez éloquentes sur le sujet : pour lui, « si l’entreprise ne met pas immédiatement en place un vrai suivi des enjeux abordés et qui posent apparemment problème, l’intervention théâtrale risque alors de s’atomiser ou de se révéler contre productive ». 2012 86/103
Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS On comprend ici que le théâtre permet d’enfoncer des portes déjà entre-ouvertes mais n’a aucune légitimité ou compétence à traiter ce qui s’y passe derrière. Une solution avancée par M.. Simonnet pour mettre en place ce suivi serait par exemple de « favoriser une augmentation de l’implication des syndicats pour construire le dialogue et éviter l’impression d’une manipulation » de la part de la direction.
Pour Stéphane Chiers (DRH chez CCI Valenciennes) : « Lorsque les problématiques sont abordées à la manière vivante et humoristique, les dysfonctionnements deviennent évidents et la prise de conscience, immédiate, appelle nécessairement la recherche et la mise en œuvre de solutions ». On conclura sur ce point en citant R. Magli : « la représentation n’est qu’un moment inséré dans un processus plus complexe. Son caractère fortement épisodique demande une grande capacité de la part de l’entreprise à assumer les conséquences du message transmis, à organiser un suivi, à mettre en place des actions de soutien et d’accompagnement, sous peine de voir l’expérience théâtrale frappée d’inutilité, voire de nocivité ».
b. Sur le thème du statut : les questions de clause de confidentialité et de référencement
Sur la question du statut du théâtre en entreprise, même si, comme on l’a précédemment fait remarquer, la pertinence de son usage est de moins en moins remise en cause par ses acteurs, on notera tout de même qu’il y a encore de quoi s’interroger sur l’image de légèreté et de frivolité véhiculée par les acteurs du monde du théâtre.
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS En effet M. Simonnet et M. Chabert affirment tous deux qu’il est très rare que les entreprises qui font appel à leurs services leur imposent de signer une clause de confidentialité. M. Chabert nous informe que cela ne lui est « quasiment jamais » arrivé et M. Simonnet affirme lui que « c’est très rare, 3 fois sur 270 contrats environ ». Cela renforce très clairement le préjugé que même lorsque le théâtre cherche à rejoindre le monde des organisations productives et à y participer, celui-ci reste très éloigné des considérations stratégiques de l’entreprise et ne saurait en tirer profit par ailleurs. Si l’on se doute que des clauses de confidentialité n’ont pas vraiment lieu d’être lorsqu’il s’agit d’utiliser le théâtre pour animer, en tant que divertissement, des soirées d’entreprise quelconques, on imagine cependant que lorsque celui-ci touche des questions plus sensibles de stress au travail ou de compétences des individus dans les ateliers de formation, il en vient à détenir des « informations très importantes et strictement confidentielles » sur l’état de santé de l’entreprise en question ainsi que sur ses stratégies ou dysfonctionnements internes.
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La confiance accordée aux acteurs du théâtre d’entreprise en n’imposant aucune sorte de clause de confidentialité prouve donc par ailleurs qu’on ne lui prête aucun risque (à révéler ces informations) et qu’on ne leur accorde peut-être pas le sérieux d’une entreprise traditionnelle.
D’autre part il arrive que certaines entreprises n’acceptent pas d’être citées dans les catalogues ou sites web des compagnies de théâtre d’entreprise lorsqu’elles ont eu recours
147 Entretien avec M. François Chabert
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS à leurs compétences, comme s’il n’était encore une fois pas sérieux ou sûrement peu stratégique dans leur stratégie de marketing/communication de montrer qu’une activité artistique, tel le théâtre, avait franchi les portes de l’entreprise. L’expérience de M. Simonnet le prouve, il lui est effectivement arrivé qu’une « grande marque de luxe n’accepte pas d’être référencée » sur son site web.
c. Les questions de coûts des prestations théâtrales
Enfin, avant de conclure sur les limites de l’efficacité du théâtre en entreprise, il ne faut bien sûr pas omettre la question du coût des prestations. S’il est très difficile de donner une fourchette de prix tant les tarifs diffèrent selon le type de prestation demandée, la notoriété des comédiens, le nombre de personnes mobilisées, le temps nécessaire à la préparation (qui peut aller de quelques jours à plusieurs semaines voire mois), le recours à une troupe de théâtre en entreprise se compte en milliers d’euros par jour d’intervention. Même si on sait que les grosses entreprises reçoivent des subventions parfois conséquentes pour leur budget destiné à la formation et que cela peut alors constituer « un filon à exploiter pour les boîtes de théâtre en entreprise » selon les dires de M. Simonnet, gageons cependant que les PME qui ont un budget déjà serré ne pourront pas forcément s’offrir ces services.
3. Les questions des dynamiques nouvelles et du statu quo
Qu’en est il alors de l’impact du théâtre sur les dynamiques traditionnelles à l’entreprise ? Les acteurs et metteurs en scène du théâtre d'entreprise sont-ils, comme le déclare François 2012 89/103
Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS Chabert, « les fous du roi » qui servent à « transmettre le message de la boîte » mais qui n’ont aucun effet de long terme sur le fonctionnement de l’entreprise elle-même ? Sont-ils finalement les garants du statu quo dans l’entreprise ou permettent-ils d’aborder réellement le changement ?
Cette dernière question trouve sûrement sa meilleure réponse dans sa formulation même : la plus grande complexité du théâtre en entreprise, pour les acteurs du théâtre et de l’entreprise est certainement qu’ils doivent intégrer le fait que le théâtre ne peut que servir de déclencheur à un changement ou une politique d’accompagnement sur des bases renouvelées. Il n’est en aucun cas l’incarnation de cette politique, voulue par de nombreux chercheurs en sciences de gestion, tel Detchessahar ou Dupuy, l’auteur de Lost in Management. Cette constatation doit par ailleurs être assimilée des deux côtés. Puisque s’il est normal que l’entreprise doive effectivement mettre en place un vrai suivi après une expérience théâtrale qui a fait émerger des conflits, il est parfois moins évident que le comédien ou metteur en scène, sincère dans sa volonté de « changer fondamentalement les choses en entreprise »
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admette qu’il a un rôle certes fort dans sa dimension révélatrice
des dysfonctionnements mais limité dans le temps et dans l’impact en fonction des procédures que décideront d’engager (ou non) les entreprises à la suite de son intervention.
En toute objectivité, il apparaît clair que la décision de maintenir ou non le statu quo dans les organisations n’appartient donc pas aux acteurs du théâtre mais aux tenants du pouvoir décisionnel dans l’entreprise.
148 Et pas uniquement attiré par la conquête d'un nouveau marché, (Fustier, op. cit.)
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Conclusion
« On ne peut pas ne pas communiquer » comme nous l’a si bien dit le théoricien de la communication, Paul Watzlawick, l’un des membres fondateurs de l’Ecole de Palo Alto. Si l’on sen tient à cette analyse, les dysfonctionnements de l’entreprise communicationnelle, telle que nous l’a défini Detchessahar, ne proviendraient donc pas d’une absence de conversation entre les acteurs mais d’un manque de savoir-faire (et peut être de savoir-être) dans l’activité communicationnelle interpersonnelle. Dans ce nouveau paradigme où l’entreprises se sert de nombreux outils communicationnels pour clarifier ses positions (culture d’entreprise), ses objectifs et son travail d’équipe (notamment dans les structuresprojet), il n’empêche que ses acteurs communiquent parfois mal, provoquant ainsi un manque d’implication, de coordination ou de compréhension de ces différents enjeux. L’utilité de l’art dramatique, que ce soit dans un intérêt purement divertissant, dans un objectif de formation ou de gestion du conflit, serait donc dans ce sens une véritable pédagogie de la conversation, soit un moyen d’enseigner aux acteurs de l’entreprise non pas à communiquer, mais à communiquer mieux.
Les vertus du théâtre sont en cela reconnues et son introduction dans les organisations (pour peu que l’entreprise puisse se permettre financièrement d’y recourir) peut sans doute paraître « révolutionnaire » aujourd’hui, mais le sera certainement moins demain, lorsque l’art et les artistes auront peut être accepté l’idée (ou y seront forcés) de participer à l’effort productif des entreprises et à leurs dynamiques gestionnaires en leur faisant profiter de leurs compétences propres (créativité, esthétique flexibilité, communication). Si on l’admet 2012 91/103
Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS encore difficilement aujourd’hui, on remarquera tout de même que les formations d’artthérapie se multiplient, que les écoles de management mettent en place des formations d’art plastique
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ou que l’on enseigne de plus en plus aux ingénieurs l’art de la
communication à travers des cours d’improvisation théâtrale. En somme si l’art ne se déplace pas volontairement vers le secteur des entreprises, c’est peut être bien l’entreprise elle-même qui viendra chercher les compétences artistiques pour son propre compte dans le futur.
Enfin, pour revenir au sujet de notre analyse et aux questions qu’il a soulevées, on peut sans doute conclure que l’activité théâtrale est un outil encore bien souvent réservé à l’animation et au divertissement, encore certainement jugé comme peu sérieux par les hommes d’entreprise, mais qui tendrait peut être à le devenir, au vu des succès qu’il rencontre lorsqu’on l’utilise dans un objectif de formation ou quand il est mis à profit pour dénouer les nœuds communicationnels propres aux conflits humains rencontrés dans certaines organisations. Les interventions théâtrales ne peuvent se targuer d’introduire de nouvelles dynamiques ou d’ébranler les statu quo, c’est bien à l’entreprise qu’il revient de mettre en place des suivis, de restructurer son organisation ou de modifier les flux internes. Cependant grâce une certaine prise de distance, le théâtre permet de prendre conscience de ces dynamiques et de les objectiver, de lisser et apaiser les conflits, de favoriser une meilleure communication, et par la même, peut être, de jouer le rôle de l’élément déclencheur, si la direction décide par la suite de prendre véritablement en compte les enjeux qui auront été soulevés.
149 Comme le cours à option « art plastique » de l'ESC Grenoble
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS On conclura par cette intervention de Christian Poissonneau
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: « c’est l’heure du choix, le
choix de sortir du ghetto pour explorer, pour jouer les pionniers, pour risquer. Risquer… de s’entendre dire vous êtes cinglés, qu’est ce que vous venez faire dans l’entreprise ?».
150 Directeur artistique dans l'entreprise « Théâtre à la Carte »
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Bibliographie
Ouvrages
Chauvel L, Les classes moyennes à la dérive, Col La république des idée, Ed. Seuil, 2006 Cotta A., La société ludique, Grasset, 1980 Crozier M., Friedberg E., L'acteur et le système. Les contraintes de l'action collective, Seuil, Coll. Points Politiques, 1981 Dubreuil H., La république industrielle, Bibliothèque d'éducation, 1923 Habermas J., L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Payot, 1990 Hammer M., Champy J., Reengineering the Corporation, Harper Business, 1991 Huizinga J., Homo ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu, Gallimard, 1951 Linhart D., La modernisation des entreprises, Editions La Découverte, 1994 Mucchielli R., Les méthodes actives dans la pédagogie des adultes, 11e éd, ESF éditeur, 2008 Nekourouh M., Les 100 du management moderne, Coll. Cahiers des Performances, Ed. Katamaran Entreprise, 2010 Pavis P., Dictionnaire du théâtre, éditions Armand Colin, 2002 Siméon J-P., Quel théâtre pour aujourd'hui ?, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2007 Tournier C., Manuel d'improvisation théâtrale, Saint Martin Bellevue, Ed. de l'Eau Vive, 2004 Ubersfeld A., Les termes clés de l'analyse du théâtre, éd. Seuil, 1996
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Articles de revues et périodiques
Aoki M., Toward an economic model of the Japanese firm, Journal of Economic Literature, March 1990 Barthélémy-Ruiz C., Le jeu théâtral comme jeu de formation, Centre INFFO, Paris La Défense, 1996 Borzeix A., Quand parle le travail. Vers un nouveau domaine de recherche interdisciplinaire, Revue internationiale d'action communautaire, vol 25, n°65, 1995, p.137-144 Bosa B., Théâtre en entreprise, La voix de son maître, Alternatives Economiques, n°167, 1999 Bottega C., L'humour est-il un outil de management ?, Humanisme et entreprise, n°288, juin 2008 Bourguinat E et Lorgnier A., Le rôle du rire dans les organisations, Compte rendu pour l'Association Les Amis de l'Ecole de Paris, rédigé par E. Bourguinat Cosson C.in Enquête, Entreprise et carrière, n° 1011-1012, du 20 juillet au 30 août 2010 Detchessahar M., L'avènement de l'entreprise communicationnelle , Revue française de gestion, 2003/1 no 142, p. 65-84. DOI : 10.2166/rfg. 142-65-84e entrée bibliographique Fustier M., Les débuts en France du théâtre « dit » d'entreprise, Centre Inffo, 1996 Guillet de Monthoux P., Esthétique du Management Public, Revue POLITIQUES ET MANAGEMENT PUBLIC, Volume 9, n°2, juin 1991ntrée bibliographique Hume V., Le théâtre d'entrprise, orgines et objectifs, Actualité de la formation permanente, n° 120, septembre-octobre 1992, Centre INFFO, Paris Hungentobler P., Contribution de l'art théâtral à l'amélioration de l'expérience de service, Genève, CRAG, Haute Ecole de Gestion de Genève, 2007 Irion B, L'usine du futur. L'entreprise communicante et intégrée, Rapport du groupe prospective du commissariat général du plan, La documentation
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française, 1990 Leplâtre F., La formation se met en scène ou les mille et une vertus du théatre, Centre INFFO, Paris La Défense, 1996 Magli Rossella, Le théâtre d'entreprise, In : Quaderni, N°32, Printemps 1997, pp 33-64 Salgado M., Le théâtre, un outil de formation au management, Revue de gestion française, Lavoisier, n° 181, p. 77-96, 2008 Sardas J-C et al, Les enjeux psychosociaux de la santé au travail. Des modèles d'analyse à l'action sur l'organisation, Lavoisier, Revue française de gestion, n° 214, p.69-88, 2011 Tarondeau J-C, Wright R.W., La transversalité dans les organisations ou le contrôle par les processus, Revue française de gestion, n°104, juin-août 1995, p. 31-50 Zarifian P, Travail et communication, Essai sociologique sur le travail dans la grande entreprise industrielle, Revue Française de sociologie, vol 39, n° 39-1, p. 230-232, 1998 Zarifian P., L'émergence de l'organisation par processus : à la recherche d'une difficile cohérence. Cohérence, pertinence et évaluation, Cohendet P., Jacquot JH, Lorino P.(dir.), Economica, 1996, p. 65-86
Sources
Baier L., Théâtre d'entreprise : outil communicationnel oou mariage contre nature ?,
Mémoire de fin d'études, Lausanne, Avril 2010
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www.cinescene.fr/ www.comenboite.com/
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Annexes
Annexe 1 : Typologie des pratiques théâtrales en entreprise (Laurent Baier)
En organisant ma recherche, je n’ai trouvé dans aucun volume une taxologie valable et opératoire des divers types de spectacles. A défaut de pouvoir confronter et cataloguer mes références par un « quotient de formation » ou par « la pertinence des outils », j’ai créé ma propre classification. La typologie se fait selon l’engagement participatif des spectateurs. Puisque le théâtre d’entreprise implique de fait les apprenants, j’ai estimé qu’agencer les interventions selon leur degré d’interactivité entre acteurs-formateurs et spectateurs-apprenant. Le tableau suivant en dénombre sept, allant du plus passif au plus engeant. C’est une typologie strictement structurelle qui montre au lecteur quelques usages possibles. Pour chaque forme théâtrale sont mentionnés des exemples de compagnies qui la pratiquent en Suisse Romande, et des illustrations d’apports potentiels pour l’entreprise.
Il n’est pas question ici d’évaluer l’intérêt artistique ou éthique de chaque proposition. Le classement qui suit ne fait acte d’aucun jugement de valeur.
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Tableau synoptique
Type de prestation
Exemples romands
Apports potentiels
Animation récréative (et/ou Filibert, F. Lucchini, Ch. Détente, plaisir partagé dinatoires) Crovara Spectacle dinatoire avec enjeu Meurtres & Mystères Scènes Doubles Association par table, ou « team », pour gagner Sketches d’entreprise Théâtre à la Carte ; Théâtre et E x e m p l i f i c a t i o n des Congrès ( ?) dysfonctionnements Recherche de solutions ad hoc Nécessité de conscientiser la position de l’autre Intervention en situation Patients simulés (CHUV), Test d’aptitudes en conditions réelle exercices de police (police réelles, avec garde-fous municipale) Travail en atelier / Coaching Improsteurs, LesArts Créativité libérée, amusement
Spectacles à situation de crise Théâtre de Forum
Jeux de rôles et mises en Argynis situations fictives
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Annexe 2 : Réactions des entreprises après des interventions théâtrales de l'équipe de Com en Boîte
« Un séminaire c'est long, il faut se concentrer pendant plusieurs heures de suite. Ce sont comme de petites pauses ludiques qui permettent de retrouver une meilleure attention après. » Pierre Rondeau, reponsable de la communication interne chez France Télécom
« On parle du PABX depuis une heure ; tout à coup un comédien arrive pour nous parler de la même chose, et là, on est plié de rire pendant 5 minutes... » Anne Rostaing, marketing manager chez Alcatel
« Apprendre en rigolant, je ne croyais pas que c'était possible à ce point là ! Ils sont vraiment formisables ! » Catherine Gallard, directrice régionale chez ADPgsi
« Je tiens à vous renouveler mes sincères remerciements pour toute l'aide que vous avez su m'apporter dans le cadre de la préparation de notre convention 2005. Grâce à vous deux, j'ai pu aborder sereinement une épreuve que je redoutais particulièrement : la prise de
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Entreprise communicationnelle et communication théâtrale : une alliance légitime ? Les enjeux du Théâtre d'Entreprise Tania BOROS parole sur scène devant un parterre de plus de 100 personnes. Merci à vous deux pour vos conseils éclairés et votre sens aigu de la psychologie » Patrick Marx, directeur division Banque et Poste chez Securitas
« C'est génial de pouvoir rire ensemble dans le cadre du boulot. Ca défait les tensions, ça crée une complicité et un peu de légèreté entre nous... » Joël Dralesas, Directeur Commercial, Laboratoire Pierre Fabre
« L'ouverture du capital aux salariés était un sujet sensible. L'équipe de Com en Boîte a su faire passer le message avec maestria et de manière très drôle. Vous avez réussi à le vulgariser et à en montrer tous les avantages, ce qui a permi la mise en place de l'ouverture du capital dans les meilleures conditions possibles. Deux mois après votre prestation les salariés m'en parlent encore et me citent certaines répliques de vos sketches. Encore bravo ! » Paul-Marie Fonteneau, Responsable Marketing et Communication. Groupe Stalaven
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Annexe 3 : Captures d'écran des sites web de Com en Boite et Théâtre à la Carte
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