| Durant cette période, 5 facteurs semblent avoir joué un rôle déterminant: * les effets de la société d'abondance, * les essais nucléaires, * le livre Printemps silencieux, * une série de catastrophes écologiques bien couvertes par les mass-media (en particulier le naufrage du Torrey Canyon en mars 1967, la marée noire de Santa Barbara en Californie en janvier 1969 et la maladie de Minamata due à la pollution mercurielle au Japon), * les progrès de la connaissance scientifique et l'influence d'autres mouvements sociaux. "Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, une littérature de plus en plus abondante expose les multiples aspects, démographiques, politico-militaires, économiques, technologiques, écologiques... de la crise du développement mondial. Dans les années 60, surtout aux Etats-Unis, le thème de la catastrophe écologique émerge au sein de la contre- culture qui conteste l'euphorie de la croissance économique, de la société de consommation, et préfigure une crise de civilisation sans précédent. (...)
Au-delà des désillusions de "l'atome pour la paix" et des déceptions du "développement par la Science", la critique de la science occidentale commence à découvrir la signification thanatocratique du nouvel âge nucléaire." En réfutant d'avance les critiques rassurantes à l'encontre du "catastrophisme" des écologistes, nous reprendrons la définition qu'en donnent Jacques Grinevald et Ivo Rens: "La prise de conscience d'un probable futur dominant négatif confinant à la négation de tout avenir pour l'humanité (...) le catastrophisme est vision de calamités limitées mais actuelles. (...) Le catastrophisme n'est pas une mode mais la forme la plus récente d'une inquiétude existentielle dont les justifications sont davantage scientifiques que métaphysiques." Oui, la littérature écologiste est forcement catastrophiste mais elle est plus ou moins alarmiste.
C'est l'époque des avertissements de plus en plus nombreux et insistants de Barry Commoner, Paul Ehrlich, W. et P. Paddock, Georg Borgstrom, René Dubos, Jean Rostand, Gunther Schwabet de bien d'autres savants. Mais l'avertissement qui a eu le plus fort impact dans le monde a été celui de Rachel Carsonavec son livre Printemps silencieux paru en 1962 et qui représente alors une étape importante de la prise de conscience écologique. Si le procès des antiparasitaires avait commencé dès les années 1956-1957 dans des cercles restreints, c'est véritablement le livre de Rachel Carson qui a révélé au grand public l'abus des pesticides. Il s'ensuivit dans les pays industriels un débat très nourri sur la pollution en général. En Europe et en Amérique du Nord, les années soixante sont l'âge d'or de la société de consommation et de la croyance au "progrès" pour "maîtriser l'avenir"! avec en contrepoint l'émergence d'une contre-culture qui doit beaucoup à la Californie et aux Etats-Unis en général.
C'est en effet à partir des campus universitaires américains qu'est née la révolte de la jeunesse occidentale et la contestation de la société de consommation, pas toujours mais parfois sur des bases écologiques. C'est ce que certains ont appelé le mouvement naturaliste réactif. Ainsi le mouvement hippie préconisait-il le "retour a la nature" afin de substituer ses vertus aux vices de la société (classes sociales, esprit bourgeois, morcellement de l'individu par la division du travail, etc.). Les progrès de la recherche fondamentale et appliquée, de même que l'enseignement universitaire de l'écologie commencent à porter leurs fruits et à entrer en conflit avec l'establishment économique et technocratique. Ainsi le rôle de l'automobile dans la formation du smog oxydant a été scientifiquement démontré par Hagen Smithdès 1952. Mais sous la pression du lobby des grands constructeurs américains, les premières normes américaines n'ont été adoptées qu'à la fin des années soixante. Les congrès, conférences et symposium scientifiques internationaux consacrés à la protection de la nature ou à l'impact de l'homme sur son environnement commencent à se multiplier à un rythme accéléré: on en dénombre plus de 400 de 1950 à 1970. La plus importante de ces conférences est celle de l'UNESCO sur la biosphère ( Man and The Biosphere )en septembre 1968 parce qu'elle est la consécration de l'engagement de la communauté scientifique mondiale. Au-delà des anciennes alliances, aux Etats-Unis le nouveau mouvement écologique naissant incluait désormais la défense des consommateurs, le mouvement pour la responsabilité scientifique, le renouveau du mouvement pour la santé publique, les associations pour le contrôle des naissances et la stabilisation démographique, les courants pacifistes et non violents, les militants pour une réforme politique et pour une démocratie participative où les décisions sont prises par consensus ainsi que les mouvements de jeunes qui veulent une action directe. Des composantes aussi diverses n'étaient pas sans poser des problèmes d'organisation et de structure mais on a vu naître alors nombre d'organisations nouvelles. Durant la période 1962-1969 les préoccupations antérieures de quelques scientifiques et administrateurs et de quelques groupes conservationistes ont donc fleuri en un mouvement de masse qui se répandit dans tous les pays industriels; mais il faudra encore attendre le milieu des années soixante-dix pour que les pays du tiers monde se sentent concernés par la protection de l'environnement comme condition du développement. Et ce n'est que bien plus tard, à la fin des années quatre-vingt que les Occidentaux découvriront les affres de l'industrialisation dans les régimes communistes de l'URSS et de l'Europe de l'Est. |