Compte rendu
Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan
– Examen d’un rapport d’information sur les enjeux des nouvelles normes comptables (MM. Gaël YANNO et Dominique BAERT, Rapporteurs)......................................................................2 – Information relative à la Commission .....................................12
Mardi 10 mars 2009
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 66
SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009
Présidence de M. François Goulard, puis de M. Didier Migaud
Président
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La commission des Finances, de l’économie générale et du Plan procède, en application de l’article 145 du Règlement, à l’examen du rapport de la mission d’information sur les enjeux des nouvelles normes comptables. M. Dominique Baert, rapporteur. Je tiens d’abord à remercier le Président de la commission des Finances et le Rapporteur général pour la confiance qu’ils nous ont accordée, à moi-même et à M. Gaël Yanno, en acceptant de nous confier ce rapport d’information. La comptabilité est souvent présentée comme une matière aride, technique, sans réelle portée. Pourtant, la comptabilité n’est pas qu’une technique. C’est aussi une norme. Or, une norme n’est jamais neutre ; elle porte en elle un jugement de valeur, et le choix d’une norme comptable, parce que celle-ci mesure in fine la richesse (celle de l’entreprise, de l’actionnaire, du pays…) emporte avec lui une certaine vision de l’entreprise, des rapports économiques et, au-delà, du modèle social d’un pays. Ce choix est donc politique et l’État ne peut se désintéresser de la comptabilité. C’est pourtant malheureusement le cas. En dix ans, tant les normes comptables internationales que le Plan comptable général français ont connu des évolutions considérables. Pressés par les marchés financiers de moderniser leurs normes comptables et de les harmoniser, les États membres de l’Union européenne, incapables de s’entendre sur des normes communes, ont délégué, dans l’indifférence générale, leur pouvoir de normalisation comptable à un organisme supranational indépendant, l’IASB (International Accounting Standards Board) ; les normes qu’il élabore, les IFRS (International Financial Reporting Standards), sont obligatoires depuis le 1er janvier 2005 pour l’établissement des comptes consolidés des plus grandes entreprises européennes et ont servi de modèles à la modernisation du Plan comptable général (PCG) mise en œuvre sous l’impulsion du Conseil national de la comptabilité français. Or, a-t-on jamais vu en France un quelconque débat sur ce processus de modernisation du PCG ? Plus encore que l’adoption des normes IFRS par l’Union européenne, celui-ci s’est déroulé dans le secret, sans intervention du politique, en particulier du Parlement, alors même que ces nouvelles normes comptables impactent l’assiette de l’imposition des entreprises qu’il lui appartient de fixer en application de l’article 34 de la Constitution. Alors que la comptabilité, depuis la crise financière de l’été 2007, est mise au banc des accusés, il était donc urgent de réintroduire le politique dans une matière comptable qui repose de plus en plus, au plan national comme au plan international, sur l’expertise des professionnels et d’éclairer le Parlement sur les rapports étroits entre la comptabilité et la fiscalité. C’est à cette tâche que s’est consacrée la mission d’information sur les enjeux des nouvelles normes comptables depuis sa création le 29 avril 2008. Quelques mots pour commencer sur le processus de normalisation comptable. Celuici varie selon les pays et les traditions économiques et politiques. La France a ainsi une conception régalienne de la comptabilité. Fondée sur des principes légaux, la comptabilité constitue une branche du droit, qu’il appartient à l’État d’édicter seul, même s’il laisse d’autres utilisateurs participer à son élaboration. Jusqu’en 2007, la normalisation comptable s’effectuait ainsi sous le contrôle étroit de l’État : le Conseil national de la comptabilité (CNC), représentant les professionnels, adopte un avis qui est repris dans un règlement du
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Comité de réglementation comptable (CRC), dominé par l’État, lequel est enfin homologué par un arrêté ministériel. Désormais, c’est une Autorité des normes comptables, créée par une ordonnance du 22 janvier 2009, où les professionnels sont majoritaires, qui édictera seule les règlements comptables, même si l’homologation subsiste. C’est donc ce CNC – organe qui élaborait la doctrine comptable – qui, au tournant des années 2000, a lancé le processus de modernisation du PCG, c'est-à-dire des normes comptables applicables aux comptes individuels, dans le sens d’une convergence vers les normes IFRS. Si l’œuvre de modernisation doit être saluée, il est regrettable qu’elle ait été décidée par le seul CNC, sans qu’une ligne directrice soit fixée par le politique, lequel s’est borné à entériner a posteriori un processus qui a bouleversé l’environnement de millions d’entreprises. Sur le plan international, les normes IFRS sont élaborées par un organisme indépendant composé d’experts : l’IASB, qui est l’émanation d’une fondation américaine composée de trustees indépendants et cooptés entre eux, via un processus de consultation sensé en garantir la qualité et la légitimité auprès de l’ensemble des parties prenantes. Pourtant, nombreux sont les personnes auditionnées qui, estimant avoir du mal à se faire entendre d’experts parfois qualifiés « d’autistes » ou « d’ayatollahs de la comptabilité », ont souligné la mainmise de la vision anglo-saxonne et des grands cabinets d’audit anglo-saxons sur la normalisation comptable internationale. C’est pourtant à un tel organisme que l’Union européenne a délégué, faute d’avoir su élaborer des normes comptables communes, son pouvoir de normalisation comptable. En effet, depuis le 1er janvier 2005, les groupes européens faisant appel public à l’épargne (au nombre de 7 000 dont 1 000 environ en France) ont l’obligation d’établir leurs comptes consolidés selon les normes IFRS. Celles-ci ne sont applicables qu’une fois homologuées par la Commission européenne ; cependant, cette homologation a posteriori est largement formelle et se fonde sur l’avis d’un organisme également privé : l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group). L’Union européenne n’a donc ni le pouvoir de susciter ni celui d’amender les normes IFRS, pas plus qu’elle n’exerce de contrôle sur l’IASB. Si ces nouvelles normes comptables, en particulier les normes IFRS, ont bouleversé l’environnement de l’ensemble des entreprises françaises, c’est qu’elles sont très éloignées de la tradition comptable de notre pays. Ainsi, elles sont fondées sur des principes, c'est-à-dire qu’elles font appel, pour leur application, au « jugement » des dirigeants, lesquels doivent les interpréter ; elles sont également destinées à satisfaire les besoins d’information des seuls investisseurs. En outre, à l’opposé de la tradition française d’une comptabilité reflétant un patrimoine fondé sur le droit de propriété, en normes IFRS, la réalité économique d’une opération prime sur sa forme juridique. C’est ainsi que les biens loués en crédit-bail doivent être intégrés à l’actif du bilan. Enfin, les normes IFRS font un usage immodéré de la « juste valeur », c'est-à-dire de l’évaluation des actifs et des passifs à leur valeur de marché ; si celle-ci améliore l’information des investisseurs, elle entraîne aussi un risque accru de volatilité des résultats et du bilan des entreprises et s’oppose à l’un des principes fondamentaux du droit comptable français qu’est la prudence qui interdit la comptabilisation en résultat des plus-values latentes.
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Quel jugement porter sur ces normes IFRS ainsi présentées,? Celui des groupes français chargés de les appliquer est pour le moins mitigé. Certes, comme un référentiel comptable unique est désormais applicable aux comptes consolidés des entreprises européennes faisant appel public à l’épargne, la comparabilité des comptes s’est globalement accrue ; cependant, celle-ci reste limitée en raison, d’une part des nombreuses options ouvertes par le référentiel IFRS et, d’autre part, des divergences nationales dans l’application de celui-ci. En revanche, l’application des normes IFRS a incontestablement apporté une transparence nouvelle dans de nombreux domaines insuffisamment traités auparavant par les référentiels comptables nationaux, à commencer par le PCG. Ainsi en est-il des instruments financiers, en particulier des produits dérivés que la norme IAS 39 oblige à enregistrer au bilan, des engagements de retraite, des stock-options et autres avantages du personnel, ou de l’information sectorielle. Enfin, la meilleure preuve que les entreprises ne considèrent pas les normes IFRS comme pertinentes, c’est qu’elles ont souvent recours à d’autres indicateurs de performance (résultat opérationnel, marge brute…) que ceux prévus par le référentiel IFRS ; en outre, l’option pour la « juste valeur » n’a quasiment pas été exercée lors du passage en normes IFRS, la quasi-totalité des entreprises françaises s’en tenant à l’évaluation au coût historique. La mission d’information s’est également intéressée aux conséquences des nouvelles normes comptables. En effet, la comptabilité s’est longtemps faite modeste, se présentant comme une discipline neutre, un miroir dans lequel « l’image fidèle » de l’entreprise se reflète, pour autant que les normes comptables soient bien faites. Cependant, non seulement le miroir est déformant, c’est-à-dire que la comptabilité ne donne à voir qu’une certaine réalité de l’entreprise, mais elle a, en retour, des conséquences sur celle-ci et, au-delà, sur l’économie toute entière. Du point de vue comptable, le passage des normes comptables françaises aux normes IFRS en 2005 a eu des conséquences importantes pour les groupes concernés. Ainsi, selon une étude de la Banque de France, 74% des groupes français non financiers cotés ont enregistré de ce fait une augmentation de leur résultat net de 38% en moyenne. L’exemple d’EDF est également significatif. Dans la perspective de l’ouverture de son capital, les normes IFRS devenaient applicables à ses comptes consolidés. Or, la norme IAS 19 imposait que le montant des engagements de retraite fût inscrit au passif de son bilan, montant qui s’est révélé trois fois supérieur à celui des fonds propres d’EDF, rendant impossible son introduction en bourse. C’est pourquoi la loi du 9 août 2004 a instauré une contribution couvrant les engagements de retraite, ce qui a permis de déconsolider ceux-ci du bilan. Par ailleurs, en normes IFRS, les investisseurs qui détiennent des titres d’une entreprise doivent les évaluer, dans leur bilan, à leur « juste valeur » ; par conséquent, ils auront inévitablement une préférence pour celles qui privilégient une rentabilité immédiate, propre à soutenir le cours des titres. Les dirigeants sont donc incités à maximiser la rentabilité à court terme de leur entreprise, ce qui passe souvent par la réduction de l’emploi et de l’investissement. Inversement, une stratégie de développement à long terme, qui est dans l’intérêt de l’entreprise, pourrait rebuter les investisseurs et les conduire à la sanctionner par un ajustement brutal de sa valeur. La mission d’information estime donc que la « juste valeur » peut entraîner une gestion plus court-termiste des entreprises.
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Enfin, la mission d’information a analysé, dans une communication présentée le 30 octobre 2008, le rôle des normes comptables dans la crise financière. Ses conclusions restent aujourd’hui encore valables. Premièrement, les normes comptables seules ne sont pas à l’origine de la crise financière. Elles n’ont fait qu’enregistrer dans le résultat et le bilan des institutions financières, via des dépréciations, l’effondrement de la valeur des produits structurés de crédit puis des autres instruments financiers. Elles ne sauraient donc être le bouc émissaire des organismes de crédit qui ont surendetté des millions d’américains modestes, des manipulations des départements de titrisation des banques d’affaires, qui ont camouflé les subprimes dans des produits extraordinairement complexes, de la légèreté des agences de notation qui ont donné la note maximale AAA à ces produits et des banques qui les ont achetés sans les comprendre, ni de l’insuffisance des dispositifs de régulation financière. Deuxièmement, les normes comptables, en particulier la norme IAS 39 sur les instruments financiers, combinées aux normes prudentielles, ont incontestablement eu un effet procyclique qui a aggravé la crise en incitant les institutions financières à se débarrasser « à tout prix » de leurs actifs, même les plus sains, alors même que les marchés financiers sont fragilisés. L’Union européenne a cependant pris conscience des conséquences dommageables de la norme IAS 39 et, lors de la réunion du Conseil ECOFIN du 7 octobre dernier, a fait pression sur l’IASB pour que celui-ci autorise les entreprises à reclasser leurs instruments financiers dans une catégorie où ils ne sont plus évalués à la « juste valeur ». C’est chose faite depuis le 13 octobre 2008, ce qui a permis à certaines banques de réduire le montant de leurs dépréciations. Ainsi, la Deutsche Bank a réduit de 845 millions d’euros ses dépréciations au troisième trimestre 2008. De même, Natixis a-t-il réduit au quatrième trimestre 2008 de 310 millions d’euros ses dépréciations. Cependant, il n’est pas sûr que de tels artifices comptables restaurent la confiance des marchés dans les institutions financières… Cependant, la question cruciale – comment valoriser des instruments financiers dans un marché inactif – n’a pas été traitée par l’IASB. Valoriser des actifs lorsque les marchés ne sont pas en mesure de le faire oblige à recourir à des modèles mathématiques qui reconstituent le fonctionnement normal des marchés afin de déterminer leur prix. Or, les normes IFRS ne définissent aucun modèle précis de valorisation, pas plus qu’elles n’imposent que les hypothèses et les estimations utilisées par les entreprises soient communiquées aux investisseurs. Enfin, l’un des enseignements à tirer de la crise est le danger que représente la « full fair value », c'est-à-dire la généralisation de l’évaluation à la « juste valeur » à l’ensemble des instruments financiers, à laquelle l’IASB semble particulièrement tenir. La mission d’information espère que la crise l’amènera à renoncer à ce que certains présentent comme une « folle » fair value. M. Gaël Yanno, rapporteur. Les conséquences de la modernisation du PCG ne sont pas moins importantes que celles découlant des normes IFRS. Comme l’a souligné M. Dominique Baert, les normes IFRS constituent une véritable rupture par rapport à la tradition comptable française. Les grandes entreprises que sont les groupes faisant appel public à l’épargne ont les moyens de les mettre en oeuvre. Cependant, dès lors que le choix a été fait de moderniser l’ensemble des normes comptables françaises, ce sont les gérants et les experts-comptables de millions de PME qui ont dû se former dans l’urgence à des normes
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nouvelles, parfois imprécises et souvent complexes, par exemple l’amortissement par composants. L’insécurité juridique qui en résulte a souvent été soulignée lors des auditions. Elle est d’autant plus réelle que, s’agissant de normes fondées sur des principes, celles-ci font très souvent appel au « jugement » du préparateur de comptes à qui revient la responsabilité, sous le contrôle des auditeurs, de choisir le traitement comptable approprié d’une opération. Or, des sanctions pénales lourdes sont prévues s’il apparaissait que les comptes ne donnent pas une « image fidèle » de l’entreprise. Or, le risque n’est pas négligeable que telle interprétation puisse fausser « l’image fidèle » des comptes de l’entreprise, du moins l’idée qu’un juge pourra s’en faire s’il venait à être saisi. Afin de limiter cette insécurité, il apparaît nécessaire de renforcer la compétence et les moyens des juridictions en matière comptable. Enfin, les normes comptables ont une influence directe sur la fiscalité. En effet, l’assiette de l’impôt sur les sociétés s’appuie sur les comptes individuels des entreprises établis conformément aux règles du PCG ; de même pour la taxe professionnelle dont l’assiette est assise sur la valeur locative des immobilisations corporelles telles que définies par le PCG. En elles-mêmes, les normes IFRS n’ont aucune conséquence fiscale puisque ces normes ne s’appliquent qu’aux comptes consolidés. Mais le processus de modernisation du PCG remet incontestablement en cause l’article 34 de la Constitution qui dispose que « la loi fixe les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ». Si l’assiette de l’impôt est définie par les règles comptables établies en pratique par le CNC (devenu l’ANC), le principe de légalité de l’impôt est-il encore respecté ? Les arrêtés ministériels homologuant les règlements du CRC ne sont-ils pas entachés d’incompétence ? Le Conseil d’Etat a répondu par la négative, en distinguant entre l’objet et l’effet des normes comptables : certes, celles-ci ont des effets sur l’assiette de l’impôt sur les bénéfices, mais elles n’ont pas un objet fiscal à proprement parler et ne peuvent donc, par elles-mêmes, violer la constitution. Bien que la question ait été tranchée du point de vue du droit, il n’en reste pas moins que dans les faits, par ses avis, le CNC a influé sur l’assiette fiscale, en dehors de toute compétence constitutionnelle. Par exemple, l’amortissement par composants a entraîné, au titre de l’exercice 2005, selon les entreprises, une majoration ou une minoration de leur résultat imposable que l’article 42 de la loi de finances rectificative pour 2004 a dû étaler sur cinq ans. Certes, le CNC n’émettait que des avis, repris ou non dans des règlements du CRC dont l’homologation relevait de ministres responsables devant le Parlement. Mais l’homologation est largement formelle et rien ne dit qu’un Gouvernement ne verra pas dans les règles comptables un outil discret pour modifier l’assiette fiscale. Si le Parlement peut neutraliser ou lisser l’impact fiscal des modifications comptables, il ne peut cependant le faire qu’à la condition d’être informé de celles-ci, ce que souhaite la mission d’information. Les enjeux des nouvelles normes comptables sont donc à la mesure de leurs conséquences : considérables. C’est pourquoi la mission d’information formule dans son rapport trente propositions afin d’améliorer la qualité et la légitimité des normes comptables et du processus de normalisation.
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L’IASB qui, à l’origine, n’était qu’un think tank, est aujourd’hui le normalisateur comptable de plus de cent pays. Un tel pouvoir ne peut aller sans responsabilité ni légitimité. Cependant, la réforme en cours de l’IASB est insuffisante ; pour l’essentiel, elle se contente de créer un « conseil de surveillance » composé, notamment, des autorités nationales de marché. Non seulement les pouvoirs de celui-ci seront très limités – désigner les trustees et surveiller leur activité – mais la réforme ne traite pas deux questions majeures : d’une part le financement de l’IASB qui ne peut reposer uniquement sur les entreprises privées et les cabinets d’audit et, d’autre part, l’insuffisance des études d’impact des normes IFRS qui ne prennent pas en compte les conséquences sociales, managériales ou macro-économiques de celles-ci. En outre, il apparaît nécessaire, maintenant que l’Union européenne a délégué son pouvoir de normalisation comptable, qu’elle exerce un contrôle étroit et permanent sur l’usage qui en est fait. Afin d’améliorer son influence sur l’IASB, la mission d’information estime qu’elle devra d’abord renforcer sa capacité de recherche en comptabilité afin de promouvoir une vision européenne de la comptabilité alternative à celle de l’IASB. De plus, il apparaît nécessaire de faire de l’EFRAG un organisme public et d’en renforcer les moyens matériels et humains, afin que l’Union européenne parle d’une seule voix, et d’une voix forte, sur la scène comptable internationale. Enfin, l’assouplissement en urgence, en octobre 2008, de la norme IAS 39, conformément aux exigences du Conseil ECOFIN, a démontré que l’influence de l’Union européenne ne se limite pas à la seule procédure d’homologation. Elle ne doit pas s’interdire de faire pression, autant que nécessaire, sur l’IASB pour orienter les normes IFRS dans un sens favorable à ses intérêts. Le renforcement de l’influence de l’Union européenne sur l’IASB apparaît d’autant plus nécessaire que des nombreux projets de normes sont susceptibles, prochainement, d’affecter fortement les entreprises européennes. Depuis 2002, l’IASB et le normalisateur comptable américain ont entrepris de faire converger leurs normes comptables respectives. Si la convergence est de nature à améliorer la comparabilité des comptes et à simplifier la vie des entreprises européennes cotées aux États-Unis, elle apparaît en pratique à sens unique, c'est-à-dire que les normes IFRS convergent seules vers les US GAAP. Les exemples sont ainsi nombreux où les nouvelles normes IFRS ne sont que la quasi-copie des normes américaines équivalentes, quand bien même celles-ci sont d’une qualité inférieure. Si l’on peut douter que la convergence soit vraiment dans l’intérêt de l’Union européenne, elle a cependant toutes les chances de se poursuivre ; c’est pourquoi elle doit être étroitement surveillée, via le « conseil de surveillance » de l’IASC, l’EFRAG et l’ECOFIN. De plus, plusieurs projets de normes et d’amendements à des normes existantes sont actuellement en préparation qui suscitent, pour certains d’entre eux, de fortes réserves de la part de l’EFRAG, des normalisateurs nationaux et des entreprises européennes. Le premier de ces projets est la réforme du cadre conceptuel des normes IFRS, qui ne remet en cause ni l’orientation des normes IFRS vers les seuls investisseurs ni le postulat du bon fonctionnement des marchés.
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Le deuxième est l’aménagement de la norme IAS 31 Participation dans des coentreprises, qui supprimera la possibilité pour les groupes de consolider leur participation dans des coentreprises par la méthode de l’intégration proportionnelle, au risque de réduire la pertinence des comptes consolidés et de remettre en cause les stratégies de développement des entreprises, laquelle, notamment en Asie, passe souvent par des coentreprises. Enfin, le dernier est la future norme IFRS 4 applicable aux contrats d’assurance, que la mission d’information estime nécessaire de coordonner avec les normes prudentielles « Solvabilité II », afin que leur combinaison ne conduisent pas aux mêmes effets pervers que la norme IAS 39 et les normes prudentielles « Bâle II ». S’agissant des normes comptables nationales, le PCG a connu, entre 2000 et 2004, des changements aussi rapides que considérables. La mission d’information estime donc nécessaire de limiter désormais les évolutions du PCG au strict nécessaire, afin de permettre aux entreprises et aux comptables d’assimiler les nouvelles normes comptables. Cependant, dans l’éventualité d’une poursuite de la modernisation du PCG, l’ANC pourrait mener des études d’impact préalables à la publication des nouvelles normes comptables nationales. Elle pourrait également se doter d’un cadre conceptuel, soumis au Gouvernement pour homologation. Si le politique n’a pas à rentrer dans le détail des règles comptables, il lui appartient cependant de fixer la ligne que celles-ci doivent suivre. La mission d’information s’est intéressée à la question de savoir quelles normes comptables - éventuellement simplifiées - doivent être appliquées aux comptes individuels, c'est-à-dire à ceux de l’ensemble des entreprises françaises. Tant l’application des IFRS que celle des IFRS simplifiées pour les PME doivent être rejetées pour des raisons de complexité et d’inutilité. En outre, les comptes individuels servant de base à l’établissement de l’assiette de l’impôt, l’application des normes IFRS entraînerait l’obligation de déconnecter la fiscalité et la comptabilité afin d’éviter la volatilité des ressources publiques. La mission d’information estime donc qu’il convient de conserver, pour les comptes sociaux, des référentiels comptables nationaux. Par ailleurs, des propositions ont été avancées, notamment par la Commission européenne, afin d’exonérer les plus petites entreprises de toutes formalités comptables. Si la comptabilité est, certes, une charge, elle est aussi et surtout un outil d’information indispensable pour l’entrepreneur comme pour les tiers, à commencer par les créanciers. La poursuite d’une modernisation mesurée et concertée de ces normes, sans rechercher l’alignement systématique sur les normes IFRS mais avec un objectif de simplification, est en tout point préférable à une nouvelle révolution comptable dans les comptes individuels. Enfin, la mission d’information s’est intéressée à la pérennité de la connexion entre la comptabilité et la fiscalité dans un contexte d’évolution rapide des normes comptables et de perspective d’une assiette consolidée de l’impôt sur les sociétés au niveau européen. La déconnexion totale entre fiscalité et comptabilité, comme c’est le cas aux ÉtatsUnis ou en Grande-Bretagne, n’est souhaitée ni par l’administration fiscale ni par les entreprises pour lesquelles elle constitue une garantie dans leurs rapports avec celle-ci ; l’administration fiscale a quant à elle défini trois principes : le maintien de la connexité
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fiscalo-comptable, la neutralisation des incidences fiscales des évolutions comptables et la simplicité des retraitements. Si la mission d’information soutient la position de l’administration fiscale, elle regrette cependant que ces principes aient été fixés dans une simple instruction fiscale et attire l’attention sur le difficile équilibre entre ceux-ci. Ainsi, le maintien de la connexion, qui se traduit par un alignement de la fiscalité sur la comptabilité, est contradictoire avec le principe de neutralité ; celui-ci entraîne une déconnexion au moins partielle de la fiscalité et de la comptabilité via des retraitements complexes qui mettent à mal le principe de simplicité. Par ailleurs, le projet d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, que prépare actuellement la Commission européenne, s’il devrait permettre d’améliorer le fonctionnement du marché commun en supprimant les entraves fiscales, les double-impositions et les discriminations, risque de rompre les liens entre comptabilité et fiscalité. En effet, une assiette fiscale commune à l’ensemble des États-membres serait, par nature, incompatible avec une connexion fiscalo-comptable qui repose sur des règles comptables et fiscales nationales. Ainsi, une entreprise française continuerait à établir ses comptes individuels – et donc son résultat comptable – selon les règles du PCG mais, en matière fiscale, elle pourrait opter pour les règles de l’ACCIS, lesquelles n’auront probablement qu’un lointain rapport avec ces dernières. La question du maintien de la connexion fiscalo-comptable est également compliquée par celle de l’égalité devant l’impôt. Dès lors que l’ACCIS serait optionnelle, la charge fiscale des entreprises variera selon qu’elles auront opté ou non. Dans ces conditions, maintenir la connexion fiscalo-comptable pourrait se traduire par un rapprochement des normes comptables françaises vers les règles fiscales de l’ACCIS, rapprochement qui aurait également pour effet de rétablir les entreprises n’ayant pas opté pour l’ACCIS dans une position d’égalité avec celles ayant opté. Cependant, outre l’impact fiscal considérable qu’aurait un tel rapprochement, ce serait lancer une nouvelle modernisation du PCG qui devra être conciliée avec la convergence de celui-ci vers les normes IFRS. Enfin, la France pourrait toujours faire converger ses seules règles fiscales vers l’ACCIS, mettant ainsi un terme à la connexion entre la fiscalité et la comptabilité, avec toutes les conséquences que ce terme implique. Pour conclure, maintenant que l’élaboration des normes comptables, tant nationales qu’internationales, a été déléguée à des organismes indépendants composés d’experts, une responsabilité particulière repose sur l’État. Le pouvoir exécutif doit surveiller étroitement l’élaboration des normes comptables nationales et internationales et, le cas échéant, peser sur celles-ci, lorsque ses intérêts ou ceux des entreprises françaises apparaissent menacés. Le pouvoir législatif, outre le contrôle du pouvoir exécutif dans sa mission de surveillance des normalisateurs comptables, doit veiller à ce que ceux-ci ne modifient pas, via les règles comptables, l’assiette fiscale dont la détermination relève de sa compétence exclusive.Enfin, les juridictions auront, de plus en plus, à juger de contentieux comptables très techniques pour lesquels une formation préalable en comptabilité et en analyse financière apparaît nécessaire.
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M. le président Didier Migaud. Je félicite les rapporteurs pour leur excellent travail. Bien que la comptabilité soit une matière très technique, ils ont parfaitement mis en avant ses enjeux politiques, lesquels justifient l’intervention du Parlement. M. François Goulard. Il est vrai que les normes comptables n’ont que rarement suscité l’intérêt du Parlement. A tort, il faut en être conscient. En effet, comme l’ont souligné les rapporteurs, dès lors que l’assiette de l’impôt sur les bénéfices est déterminée par les règles comptables, toute modification de celles-ci a un impact en matière fiscale, matière qui relève de la compétence du Parlement. Cependant, s’il est vrai qu’elles sont élaborées par le Conseil national de la comptabilité, devenu l’Autorité des normes comptables, elles doivent être homologuées par un arrêté signé par des ministres responsables devant le Parlement. Celui-ci peut, en outre, neutraliser, par une disposition législative, les incidences fiscales d’une norme comptable. Enfin, les rapporteurs ont eu raison de souligner que les normes comptables ont des conséquences considérables sur les entreprises et, au-delà, sur l’économie toute entière. L’harmonisation comptable internationale est désormais un fait ; elle était une nécessité en raison de la mondialisation des entreprises et des échanges. Cependant, il est regrettable qu’une seule vision de la comptabilité, la vision anglo-saxonne, domine la normalisation comptable internationale. L’Union européenne ne doit pas abandonner la comptabilité aux seuls experts de l’IASB mais peser sur les choix afin de les orienter dans un sens favorable aux entreprises européennes. Enfin, il serait souhaitable que les entreprises qui appliquent les normes IFRS pour leurs comptes consolidés appliquent les mêmes normes pour leurs comptes individuels, et non plus les règles du Plan comptable général, à la condition toutefois que les normes IFRS évoluent dans un sens plus favorable aux entreprises. M. Michel Bouvard. Je souscris aux propos de notre collègue François Goulard, qui a exprimé l’essentiel de ce qu’il faut dire sur ce sujet. La vigilance est essentielle sur les évolutions des normes comptables, notamment en raison de leurs liens avec la fiscalité. C’est un fait qu’il faut renforcer l’influence de l’Union européenne sur la normalisation comptable international et, donc, les moyens matériels et humains de l’EFRAG, sauf à subir des normes élaborées sans débat et sans étude d’impact, dont le caractère néfaste a été révélée par la crise financière actuelle. M. Dominique Baert, rapporteur. Le message que la mission d’information souhaite faire passer est le suivant : il est faux de voir dans les normes comptables une simple matière technique ; celles-ci ont une dimension politique essentielle. Certes, notre collègue François Goulard a raison d’insister sur la possibilité, pour le Parlement, de neutraliser les incidences fiscales d’une norme comptable ; mais encore faut-il que celui-ci soit informé de ces incidences. C’est pourquoi la mission d’information propose que l’Autorité des normes comptables établisse chaque année, à l’intention du Parlement, un rapport sur les incidences fiscales des normes qu’elle élabore. S’agissant de l’influence de l’Union européenne sur le processus de normalisation comptable internationale, la mission d’information estime nécessaire de renforcer la recherche universitaire européenne en matière comptable, via des programmes européens d’échanges et
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de soutien à la recherche et, à terme, une Académie comptable européenne. En outre, l’Union européenne devrait contribuer en tant que telle au financement de l’IASB et mener de véritables études d’impact des normes IFRS, préalablement à leur homologation. M. François Goulard. Il n’est effectivement pas sain que les entreprises et les cabinets d’audit, qui sont les premiers intéressés par les normes comptables, soient les seuls à financier l’organisme qui les élabore. M. Gaël Yanno, rapporteur. En complément à nos propositions, il me semble important que la commission des finances puisse auditionner le Président de l’Autorité des normes comptables afin d’être éclairée sur la poursuite ou non du processus de modernisation du PCG ainsi que sur les modalités de celle-ci. M. François Goulard. Un exemple parmi bien d’autres de la dimension politique des normes comptables est la proposition du Président de la République de partager le profit en trois tiers (actionnaires, salariés, investissement) ; or, qui définit ce qu’est le profit, sinon les normes comptables ? M. le président Didier Migaud. Les conclusions du rapport d’information vont être transmises officiellement à Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, ainsi qu’au Sénat, en particulier aux membres du groupe de travail commun à l’Assemblée nationale et au Sénat. Je rappelle que ce groupe continue son travail sur les paradis fiscaux, côté Assemblée nationale, et sur la régulation des marchés financiers, côté Sénat. Nous vous remercions une fois encore, Messieurs les rapporteurs, pour votre excellent travail. La Commission est-elle favorable à la publication du rapport ? Le principe de la publication du rapport d’information sur les enjeux des nouvelles normes comptables, mis aux voix, est approuvé par la Commission.
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Information relative à la Commission La Commission a reçu en application de l’article 14 de la LOLF : – un projet de décret portant annulation de crédits. De nature exclusivement technique, ce projet est destiné à régulariser la fin de gestion 2008 sur les fonds de concours. Les annulations qui s’élèvent à 1 487 919 euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement portent sur les budgets et programmes suivants : * Défense : Programme 167 Liens entre la nation et son armée pour un montant de 90 euros ; Programme 212 Soutien de la politique de la défense pour un montant de 80 euros ; Programme 144 Environnement et prospective de la politique de défense pour un montant de 1 450 euros ; Programme 178 Préparation et emploi des forces pour un montant de 841 801 euros ; Programme 146 Équipement des forces pour un montant de 428 euros. * Écologie, énergie, développement durable et aménagement du territoire : Programme 217 (titre 2) Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables pour un montant de 2 175 euros ; * Éducation nationale : Programme 214 (titre 2) Soutien de la politique de l’éducation nationale pour un montant de 176 405 euros ; * Intérieur, outre-mer et collectivités territoriales : Programme 216 Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur pour un montant de 1 905 euros ; Programme 138 Emploi outre-mer pour un montant de 2 700 euros ; * Travail, relations sociales, famille et solidarité : Programme 155 Contraception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail pour un montant de 460 885 euros.