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Words 10685
Pages 43
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André Durand présente

‘’Tartuffe’’
(1669)

comédie en cinq actes et en vers de MOLIÈRE

pour laquelle on trouve un résumé

puis successivement l’examen de :

l’intérêt de l’action (page 3)

l’intérêt documentaire (page 4)

l’intérêt psychologique (page 4)

l’intérêt philosophique (page 6)

la destinée de l’œuvre (page 7)

différentes scènes (pages 7-16)

Bonne lecture !

Résumé

On est au XVIIe siècle dans le salon du bourgeois Orgon. Madame Pernelle, sa mère, s'apprête à quitter la maison et reproche à sa belle-fille et à ses petits-enfants leurs habitudes mondaines, alors qu'Orgon a accueilli chez lui un dévot personnage du nom de Tartuffe, dont, prétend-elle, tous feraient bien de suivre l'exemple. Chacun s'indigne de ces propos : Tartuffe est un hypocrite, un misérable aventurier, qui, sous prétexte de religion, exerce un pouvoir tyrannique sur la maison. Cléante lui-même, le beau-frère d'Orgon, approuve. De la conversation qu'il tient avec la servante Dorine, nous apprenons qu'Orgon manifeste un véritable culte à Tartuffe. Revenu de voyage, Orgon, ne pensant pas à ses enfants, s'inquiète de la santé de Tartuffe, ne prête même pas attention à la mention qui lui est faite des malheurs de sa femme. Comme Cléante le lui reproche, il répond, parlant de Tartuffe : «Il m'enseigne à n'avoir affection pour rien. De toutes amitiés il détache mon âme». Son beau-frère a beau lui affirmer que la vraie dévotion est charitable, humaine, discrète, et non pas ostentatoire et égoïste comme la pratiquent les hypocrites, rien n'y fait. Orgon clôt là l'entretien, non sans avoir oublié de confirmer la promesse qu'il fit de marier sa fille, Mariane, avec Valère. Et pour cause : il annonce à la pauvre enfant qu'il lui destine Tartuffe. Heureusement, Dorine, qui n'est pas loin, prend le parti de la jeune fille, ridiculise Orgon, qui se retire fort en colère, et exhorte Mariane à lui tenir tête. Valère arrive et, persuadé que sa fiancée a consenti à épouser Tartuffe, il lui reproche vivement son attitude. Les deux amants se fâchent et, n'était la sage Dorine qui réussit à les réconcilier, leur brouille eût été irrémédiable. Excédé, Damis, le fils d'Orgon, veut débarrasser la famille de l'hypocrite, et ce par la force. Dorine lui conseille la prudence.
Enfin, Tartuffe fait son entrée en scène. Il va remplir ses devoirs de bon chrétien et le fait savoir en le criant à son valet. Dorine ne se laisse pas abuser, et lui reproche d'être hypocrite. Tartuffe feint de ne se rendre compte qu’alors de sa présence, sortant un mouchoir pour lui cacher son décolleté. La vision d'un sein, selon lui, choque la pudeur. Dorine se moque de lui et lui fait remarquer qu'il n'a aucune résistance aux tentations de la chair. Pour toute réponse, il tourne les talons. Mais, en apprenant qu'Elmire désire le voir, il s’arrête et se radoucit. À peine se croit-il seul avec elle qu'il tente de la séduire, lui "serre le bout des doigts" (vers 913) et lui met bientôt la main sur les genoux. Elmire se récrie d’abord, puis se ressaisit. Adroitement, l'homme lui fait comprendre que ce n'est pas Mariane qu'il aime, mais bel et bien elle. Comme il la supplie d'oublier cet incident, elle s'engage à ne pas dévoiler le scandale en lui faisant promettre de convaincre Orgon de laisser Valère épouser Mariane. La conversation est brutalement interrompue par Damis, qui était caché non loin de là et qui a tout entendu. Il veut profiter des aveux de Tartuffe, et va immédiatement prévenir Orgon. Lorsque celui-ci s’adresse à Tartuffe, l'hypocrite, au lieu de se justifier, avoue tout, joue les persécutés, s'accuse de mille crimes, demande qu'on le chasse «comme un criminel»... et la réaction attendue par Damis est contraire : Orgon ne croit pas un mot de l'accusation de son fils, qu’il accuse de calomnie, et, s'énervant, le chasse de la maison et le déshérite. Lorsque Tartuffe et Orgon sont seuls, l’hypocrite poursuit sa comédie, prétend partir afin de préserver l'unité de la famille. Orgon, aveuglé par l'admiration qu'il lui porte, tente de le consoler et, pour lui prouver son affection, lui donne sur le champ tous ses biens. Le faux dévot feint de résister puis accepte ce présent en arguant que "la volonté du seigneur soit faite" (vers 1182).
Au début de l'acte IV, Cléante presse le nouveau possesseur de la maison de réconcilier le père et le fils. Tartuffe refuse en alléguant de faux prétextes. Comme il mentionne le Ciel, Cléante lui demande si le Ciel l'a obligé à accepter toute la fortune d'Orgon. Mais l’autre réplique que celle-ci ne servira "que pour la gloire du Ciel et le bien du prochain" (vers 1248). Puis il s'en va car il est l'heure de sa prière. Mariane supplie son père à genoux de ne pas lui faire épouser Tartuffe, et déclare qu'elle ira même plutôt jusqu'à entrer dans un couvent. Le père, voyant sa fille si désespérée, faiblit, mais, se rappelant les leçons de Tartuffe (vers 278), se reprend. Elmire lui propose alors de lui montrer la vraie personnalité de Tartuffe, de lui faire constater de ses propres yeux si son fils a menti. Orgon, confiant, accepte, ne voyant là qu'une occasion de plus de prouver la vertu du dévot. Elle le cache sous la table, et appelle Tartuffe. Dès le début de leur conversation, elle lui fait comprendre qu'elle n'a pas été insensible à son charme. Il s'étonne de son changement d'avis :"Vous parliez tantôt d'un autre style" (vers 1410). Elle se justifie en lui prétendant qu'elle n'aurait pas étouffé l'affaire, ni empêché le départ de Damis, si elle n'avait pas voulu que son bien. Mais il doute, veut des preuves, et va même jusqu'à exiger quelques "faveurs" (vers 1449). Elle lui demande alors de sortir pour s’assurer qu’ils ne sont pas espionnés. Pendant ce temps, Orgon, révolté, surgit de sa cachette, mais y retourne aussitôt car l'autre revient. Tartuffe s'apprête à continuer sa cour, mais Orgon, comprenant enfin qu'il a été mené par le bout du nez, convaincu de l’infamie de Tartuffe et n'en pouvant plus, apparaît. Il lui ordonne de quitter sa maison. Cependant, celle-ci n'est désormais plus la sienne car il a donné tous ses biens à l'imposteur plus tôt dans la journée. Jetant le masque, il assène : «C'est à vous de partir, vous qui parlez en maître. La maison m'appartient, je le ferai connaître». Et il sort, victorieux. Orgon révèle alors à Elmire qu’outre la perte de ses biens, une mystérieuse cassette l'inquiète bien plus encore.
Le dernier acte débute alors qu'Orgon explique à Cléante que la cassette contient des documents compromettants de son ami Pargas qui avait soutenu la Fronde et avait dû s'enfuir. Malheureusement cette cassette se trouve dans les mains de Tartuffe : qui sait ce qu'il compte en faire? Il suffirait qu’il les porte au roi pour qu'il soit arrêté. Toute la famille accourt à la maison : Damis qui veut lui "couper les deux oreilles" (vers 1234) mais qui se fait raisonner, et Mme Pernelle qui ne croit toujours pas à la bassesse du faux dévot. C'est alors que survient M. Loyal, huissier de justice, qui est chargé de leur signifier qu'ils doivent quitter la demeure pour le lendemain, sinon ils seront expulsés de force. Mme Pernelle en tombe "des nues" (vers 1814) et Cléante cherche un moyen de contrecarrer Tartuffe. Valère arrive et prévient Orgon qu'il doit s'en aller de toute urgence : Tartuffe a donné la cassette à la police qui le voit désormais comme un "criminel d'État" (vers 1838). Il lui offre son carrosse et mille louis pour s'enfuir au plus vite. Mais il est trop tard, Tartuffe revient et il est accompagné d'un « exempt ». Il savoure sa victoire quand, coup de théâtre, c'est lui qui se fait arrêter. L’« exempt » explique que le roi a compris la manoeuvre de Tartuffe qui avait déjà été connu pour d'anciennes affaires d'escroquerie, qu’il n'a pas fait ouvrir la cassette. Mieux, pour remercier Orgon de lui être resté fidèle pendant la Fronde, il lui rend tous ses biens, et lui pardonne d'avoir aidé un ennemi de l'État par amitié. Rien ne peut désormais empêcher le mariage de Mariane et Valère.

Analyse

Intérêt de l’action

Dans ‘’Tartuffe’’, Molière fut en quelque sorte fidèle aux contes et aux fabliaux du Moyen Âge qui traditionnellement mettaient en scène le mari, la femme et le curé ! Mais « tartuffe » vient-il de l'italien « tartufo » (qui désigne la « tumeur de terre» qui accroît frauduleusement les pouvoirs sexuels) ou de Truffaldino, cette figure de la commedia dell'arte?
C’est, sans conteste, la pièce la plus structurée qu'il ait écrite : aucune intrigue secondaire, aucun détail n'est laissé au hasard et, si l'on excepte l'intervention du roi, tous les éléments mis en place tendent vers la scène finale. L'intrigue sentimentale est immédiatement évoquée ainsi que la menace que représente Tartuffe (vers 217-218) qui ne serait pas complet s'il ne convoitait la femme de son hôte, et, bien sûr, cette intrigue ne connaît son dénouement qu'à la fin de la pièce. Entre ces deux temps, Molière retarde l’entrée de Tartuffe (III-2) pour maintenir un suspens et le fait évoluer de façon à ce qu'il déstabilise complètement l'unité familiale grâce à l'emprise qu'il a sur Orgon, même si les autres membres, qui ont compris la vérité, tentent tout pour lui ouvrir enfin les yeux. Lorsqu'il est démasqué, il passe de la manigance à la déclaration de guerre. La pièce est tellement bien ajustée qu'il faut l'intervention d'un «deus ex machina» (le roi) pour que la comédie ne tourne pas au drame.
La dénonciation de l'hypocrisie religieuse est un sujet grave, pour lequel on pourrait s’attendre à une pièce de théâtre susceptible de provoquer la colère plutôt que le rire. Cependant, “Tartuffe” reste une comédie, qui avant de faire réfléchir le spectateur le fait s'amuser grâce à de nombreux éléments. D'abord, le comique de geste : presque toutes les didascalies insérées par Molière aident les comédiens à jouer dans ce sens, ainsi, on voit des gifles (vers 169-171 et 579), une sympathique scène de dépit amoureux où Dorine court de Valère à Mariane pour les réconcilier, ou encore la première entrevue entre Tartuffe et Elmire où, tandis que l'une s'écarte, l'autre se rapproche. Ensuite, le personnage de Dorine est l’élément comique par excellence, par son caractère de servante sympathique, intelligente et franche, par son langage familier (elle emploie des mots ou expressions qui font rire, comme «forte en gueule» [vers 14] ou bien «quel caquet est le vôtre» [vers 821]), par son ironie et sa clairvoyance (sans pitié, elle se moque d'Orgon, quand par exemple elle répète «le pauvre homme» (vers 1657), mots qu'avait prononcés Orgon à l'acte I, scène 4). Bien qu'elles soient toujours comiques, ses répliques insolentes sont cependant pleines de bon sens. Enfin, intervient le comique de caractère : malgré le fait qu'il entraîne sa famille à sa perte, Orgon, par son attitude reste un personnage comique ; il est qualifié unaninement de «fou» (vers 311) et cette folie se manifeste par des réponses aux questions automatiques, et donc amusantes (la plus flagrante est sans doute la répétition de «le pauvre homme» quatre fois (I-4), alors qu'il s'inquiète moins de sa femme malade que de Tartuffe qui est en pleine forme ; dans l'acte II scène 1, il est un père de famille complètement grotesque et risible qui se laisse prendre au piège de l'insolence de Dorine).

À la fin, la pièce qui, jusqu'à ce moment, avait été très réaliste (il est facilement possible d'imaginer ce genre de mésaventures dans une famille à l'époque de Louis XIV), connaît un retournement de situation brutal et peu vraisemblable : on peut difficilement croire que le roi lui-même s'occupe d'une affaire si peu importante pour lui.

Intérêt documentaire

La pièce est un tableau de mœurs.
Molière y reprend le thème mariage forcé qu’il a exploité dans de nombreuses pièces. Dorine le caricature d'ailleurs très bien en disant : «Non, il faut qu'une fille obéisse à son père Voulût-il lui donner un singe pour époux». (vers 654-655).
Il traite aussi le thème du parasite, de l'imposture mondaine, fréquent dans la littérature du XVIIe siècle (Boileau, La Bruyère, La Rochefoucault) et du XVIIIe siècle (voir ‘’Le neveu de Rameau’’ de Diderot). Le parasite abuse de ceux qu'il trompe, il ne pense qu'à une seule chose : bien manger, bien dormir.
Surtout, il s’en est pris aux faux dévots qui étaient des libertins convertis, à la Compagnie du Saint-Sacrement. Avait-il pour mission de moquer les jésuites ou les jansénistes?

Intérêt psychologique

L’éventail que constitue l’entourage d'Orgon est peut-être le plus complet de toutes les pièces de Molière : couple remarié, enfants, belle-mère, beau-frère, servante. Il voulait pouvoir ainsi étudier dans tous ses aspects l'action doublement néfaste du pseudo-directeur de conscience qu'est Tartuffe.

- Mme Pernelle admire Tartuffe pour sa dévotion et est scandalisée que les autres membres de la famille voient en lui un hypocrite.

- Elmire : Seconde épouse d'Orgon, c’est une jeune femme d'une trentaine d'années aimable et sociable. Elle fréquente en effet la société mondaine et participe à de nombreux bals. Elle aime également être bien habillée, ce qui énerve sa belle-mère (vers 29-30). C'est une jolie femme qui connaît son charme et en use pour duper Tartuffe. Comme elle est intelligente, elle ne dévoile pas à son mari la tentative de séduction, parce qu'elle espère que Tartuffe favorisera le mariage de Valère et Mariane ou parce qu'elle pense qu'elle pourra utiliser cette situation plus tard, ce qu'elle fera d'ailleurs (IV-5).

- Mariane et Damis : Les deux enfants d'Orgon jouent un rôle mineur. On peut retrouver en eux quelques traits du caractère de leur père. Comme lui, Damis est bouillant. Cependant, s'il est capable pour protéger sa famille de faire un scandale (III-5), il demeure respectueux envers son père en toute circonstance, même quand celui-ci le chasse de la maison en le déshéritant. De son côté, Mariane, jeune femme romantique et sensible, est, elle aussi, portée aux solutions extrêmes : si, lorsqu'elle apprend qu'elle doit se marier à Tartuffe et que sa décision est sans appel, elle ne prononce pas un mot pour se défendre, c’est, comme elle le déclare à Dorine, qui s’en étonne, qu'elle se suicidera si son père maintient sa décision. L’amour entre elle et Valère est une passion dont on apprend dès les premières scènes de la pièce qu'elle existe depuis longtemps, mais à laquelle Tartuffe n'est pas favorable (vers 217-218). Lors de leur réconciliation après leur dispute (vers 781-79, acte II scène 4), on voit d'ailleurs à quel point elle est forte. Dans cette même scène, après que Mariane ait apprit à qui elle était destinée, on voit bien son désarroi, et à quel point elle déteste Tartuffe.

- Cléante : Frère d'Elmire, cet homme juste, intelligent, clairvoyant au contraire de l'aveugle et autoritaire Orgon, est le personnage plus sage de la pièce. Lui aussi a percé la couverture de faux dévot de Tartuffe. Selon lui, un vrai esprit religieux est tolérant, discret, et humble (vers 389-405).

- Dorine : Servante de Mariane, typique servante des pièces de Molière, elle se définit par son caractère franc. Elle a très vite percé l'hypocrisie de Tartuffe et ne se gêne absolument pas pour dire ce qu'elle en pense, pour critiquer ouvertement la décision d’Orgon en ce qui concerne le mariage de Mariane (II-2).

- Orgon : Bourgeois parisien, il est suffisamment riche pour permettre à sa femme d'être vêtue «ainsi qu'une princesse» (vers 30). Époux d’Elmire et père de famille, c’est un homme naïf, extrêmement influençable et fragile qui s'est réfugié dans la religion parce que, vieillissant, il n'a pas réussi à s'adapter à un monde complètement différent de celui dans lequel il a été éduqué. Catholique sincère mais crédule, il est à la fois le disciple et la dupe de Tartuffe qui profite du fait qu’il est faible. Aveuglé, il devient complètement fou de son «héros» (vers 195) et l'aime même plus que sa propre famille (vers 185-186). Cet amour lui fait tyranniser les siens, s'énerver contre ceux qui osent s'opposer à lui (Dorine, Damis). Père traditionnel, typique de ceux qu’on trouve chez Molière, il abuse de son autorité paternelle pour faire ce qu'il pense que Tartuffe approuvera, et en l'occurrence, s'opposer au mariage de Valère et Mariane. Lorsque son éblouissement par Tartuffe s’évanouit, qu’il se rend enfin compte de sa nature, il passer d’un extrême à l'autre, haïssant alors « tous les gens de bien » (vers 1604-1606). Il a le caractère excessif d'un maniaque qui a bien failli faire le malheur de tous. Qu'Orgon, dont le mystère constitue le vrai sujet de la pièce, soit, au fond, plus dangereux que Tartuffe est ce qui irrite le plus les partisans de la religion.

- Tartuffe : Il est le moteur de l'action, même s’il apparaît tardivement, si, longtemps, on se demande qui il est, si, pendant les deux premiers actes, on nous parle de lui sans qu'on le voie, si, ensuite, il n'a aucun monologue où il livrerait le fond de son coeur. Dès qu'il paraît, on sait qu'il ment, incarne le pur comédien, le théâtre même. Il est une illustration de l’hypocrisie religieuse. Derrière des apparences d'un bon catholique qui va «chaque jour à l'église» (vers 283), fait des actes de charité (vers 855-856) ou bien se fait lui-même violence pour expier ses fautes (vers 853) se cache en fait un homme qui utilise la dévotion pour ses propres intérêts. La vraie foi décrite par Cléante est bien différente de celle que pratique l'imposteur. En effet, comment expliquer le fait qu'il soit «gros et gras, le teint frais et la bouche vermeille» (vers 234) alors qu'il se mortifie et prétend renoncer aux plaisirs de la vie? De même, ses actes de charité ne sont que paroles, les prisonniers qu'il devait aller voir à l'acte II scène 3 ont été préférés à Elmire. De plus, ses régulières apparitions à l'église sont bien trop bruyantes et démonstratives pour être vraies : il cherche en fait plus à attirer l'attention d'Orgon qu'à glorifier Dieu.
Il est l’hypocrite par excellence. L’hypocrisie, son défaut le plus important, a été remarqué par tous sauf Orgon et sa mère : «Tout son fait, croyez-moi, n'est qu'hypocrisie» (vers 70). C’est le vice qui consiste à feindre des sentiments ou une vertu qu'on n’a pas, définition qui colle parfaitement au personnage dont les discours sont en totale contradiction avec ses actes. Alors qu'il prétend s'intéresser le moins du monde à l'argent, il veut s'emparer de la fortune de son bienfaiteur. Bien qu'il pardonne à Damis de l'avoir, selon Orgon, calomnié, il se refuse à réconcilier le père et le fils. Tandis qu'il se choque du décolleté de Dorine (vers 861), il tente de séduire Elmire dans le dos d'Orgon. L'hypocrisie se manifeste également dans les enseignements qu’il prodigue à Orgon qui révèle à Cléante que son maître lui a conseillé de «n'avoir affection pour rien» (vers 276), qu'il pourrait voir «mourir frère, enfants, mère et femme» sans s'en soucier (vers 278), ce qui va totalement à l'encontre du plus important dogme des chrétiens : «Aimez-vous les uns les autres». Dans ce cas, Tartuffe modifie le sens des préceptes de la religion chrétienne en sa faveur et pense qu'en détournant Orgon de sa famille, il lui sera plus facile de séduire Elmire et de s'attirer encore plus l'approbation de son mari.
Ce parasite cupide exerce une terrible manipulation mentale sur Orgon. Très intelligent, il a su séduire Orgon en profitant de sa faiblesse pour les dévots, en feignant en être également un. Il connaît toutes les ficelles du métier, sollicitant, se posant en saint, tâchant d'arracher par le discours ce qu'on lui refuse et, enfin, utilisant la force. Malfaiteur professionnel, avant de tromper Orgon, il a réalisé de nombreuses escroqueries dont la liste emplirait plusieurs «volumes» (vers 1926). Son but est de s'enrichir un maximum et par tous les moyens. Le confort lui est extrêmement important, et malgré le fait qu'il clame vivre avec fort peu de moyens, il est «gros et gras, le teint frais et la bouche vermeille» (vers 2340).
Mais il possède une faille qui se fait jour quand Dorine apprend à Damis qu’il pourrait bien avoir une "douceur de coeur" (vers 837) pour Elmire. C’est en fait un jouisseur. Aussi, s'il prétend s'offusquer du décolleté de Dorine (vers 860), les femmes l'attirent beaucoup et en particulier Elmire. C'est d'ailleurs ce qui le perd, car, quand il est avec elle, il perd toute prudence et ne se doute même pas du guet-apens dans lequel il est entraîné. On veut montrer son infamie mais ce qui éclate, sous son désir forcené, n'est-ce pas de l'amour? Et Molière n’a-t-il pas mis dans la bouche de cet hypocrite l'une des plus belles déclarations d'amour de la langue française? il se perd, à l'acte IV, à l'instant où il dit la vérité, où il se révèle à Elmire. À ce moment-là, le «monstre» est sincère quand l'«honnête femme» se montre habile à feindre et à mentir. Mais sa passion est différente de celle de Mariane et de Valère ; d’abord parce qu'elle est unilatérale ; d'autre part et surtout parce qu,elle est purement sensuelle : il désire avoir du «plaisir» (vers 1000) avec Elmire plus que de la vénérer. En effet, les gestes qu'il fait en lui tenant les doigts, puis en lui mettant la main sur les genoux (III-3) ou les paroles qu'il prononce («Contentez mon désir», vers 1495) trahissent plus une envie d'amour physique que platonique.

Intérêt philosophique

La pièce fait réfléchir sur ces différentes questions :

L’autorité arbitraire des pères et des époux au XVIIe siècle : Molière déploie une vision subtile et sans complaisance de son époque, annonçant le théâtre de moeurs du XVIIIe siècle.

La dénonciation de la fausse dévotion : S’il y avait, au XVIIe siècle, des dévots sincères, tels Bossuet ou saint Vincent de Paul, il y avait aussi de faux dévots et même d'habiles escrocs, des prédicateurs ou des gourous fondamentalistes (dirait-on aujourd’hui) qui profitaient de victimes naïves qu’ils fascinaient, hypnotisaient et aveuglaient. Mais on reprocha à Molière de salir aussi les vrais croyants parce qu'il ne précisait pas assez l'imposture du personnage, de représenter et de mettre en cause la religion dans un divertissement profane que l'Église condamnait par ailleurs. Cette peinture satirique était donc considérée comme dangereuse même si Molière, tout athée qu'il était, ne ridiculisait pas la piété. Ce qu'il explorait, à travers le cas d'Orgon, qui, esclave de sa foi, est manipulé, c'est le mécanisme de la croyance et comment il peut conduire à l'imbécillité et au crime. Tartuffe, lui, n'est qu'un escroc. Le type du faux dévot a été fréquemment attaqué par Molière (“Dom Juan”, 1665, “Le misanthrope”, 1666).

La définition de la véritable piété : Molière était déjà un homme du XVIIIe siècle à sa façon : s’il contesta l’autorité des pères de famille, il contesta aussi celui qu’on dit être le père éternel. Il était athée au sens où il ne servait aucun dieu. Mais l'irrespect, ce n'est pas l'athéisme. S’il fut incrédule et même anticlérical, il ne nia pas la transcendance, et encore moins le besoin de transcendance. Le mot « ciel » revient chez lui et le ciel a, pour lui, tout son sens et fait encore trembler.
Mais il fustigea la bigoterie, le fanatisme et l'imposture spirituelle, non pas ceux qui croient mais ceux qui font semblant, et qui en retirent un profit personnel. Il a trop aimé l'amour, la foi véritable, pour être un négateur.

Destinée de l’œuvre

Cette gravité inattendue d'une comédie de mœurs fut à l'origine des déboires administratifs de Molière. Dans un contexte idéologique particulièrement hostile au théâtre, certains la considéraient comme un brûlot démoniaque.
Ce fut «l'affaire Tartuffe » où le comportement de Louis XIV fut très étrange : le jeune monarque encourage son dramaturge favori à fustiger les hypocrites, puis l'abandonna devant les remontrances du parti clérical emmené par le cardinal Péréfixe, archevêque de Paris qui menaça même d'excommunier tout paroissien qui en verrait une représentation ! Le roi tergiversa, gagna deux ou trois batailles, et put enfin laisser enfin la pièce triompher pour la plus grande gloire de son auteur et du souverain qui fut finalement assez fort pour l'autoriser. S'est- il servi de son ami Poquelin pour tester la résistance des dévots avant que ne règne la « paix de l'Église»? Entre-temps, la pièce, interdite à deux reprises, en 1664 et en 1667, pour outrage à la dignité de l'Église, s’augmenta de deux actes, ‘’L’hypocrite’’ devint ‘’L’imposteur’’, et Molière affûta, dans son ‘’Dom Juan’’, tous les traits qu'il destinait aux tricheurs.
Mais elle connut un franc succès, fut jouée soixante-dix-sept fois du vivant de l'auteur. Tenue pour une des comédies majeures du répertoire universel, elle a été jouée 2870 fois à la Comédie-Française.
Mais, depuis trois siècles, elle continue à diviser. Aujourd'hui, on lui restitue l'essentiel : l'esclandre et la provocation. Cependant, on délivre la momie Grand Siècle de ses bandelettes pour montrer des significations multiples. Ainsi, en 1999, Villégier la situa sous Pétain, déplacement qui, en donnant une rare proximité, réveillait le spectateur.
On peut considérer que ‘’Tartuffe’’ fut la première pièce de la France moderne, la pièce inaugurant un espace critique qu’on peut appeller la laïcité, une idée très française. Jusque-là, la religion détenait seule la vérité sur les êtres humains ; dès lors, le théâtre put la dire aussi, Molière rompant avec cette tradition de l'obéissance et de la soumission.
Le mot «tartuffe» est entré dans la langue pour désigner un imposteur, hypocrite et faux. Stendhal l’employa pour critiquer Julien Sorel, dans ‘’Le rouge et le noir’’.
En 2009, la pièce fut représentée dans la cour d’honneur du château de Grignan dans une mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman, avec Thibault Perrenoud, Pierre-Stefan Montagnier, Anne Le Guernec, mise en scène qui joua avec la majestueuse façade, la faisant, par le prodige de la vidéo, s'effondrer en même temps que l'univers de la famille d'Orgon. Brigitte Jaques-Wajeman dirigea sa troupe au cordeau, dans une lecture précise et tendue de la pièce, où Tartuffe étant un jeune homme beau et inquiétant au teint pâle (Thibault Perrenoud, sensuel, rageur), Dorine une servante généreuse et lucide (truculente Anne Girouard), Valère et Marianne un couple d'insatiables tourtereaux. Mené tambour battant, ce spectacle entre humour et noirceur fit entendre le texte dans toute son actualité et prit des échos pasoliniens.
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Analyse de la scène 1 de l’acte I

La première scène de ‘’Tartuffe’’ pose le cadre humain, le laboratoire vivant, d'une nouvelle expérience satirique. C’est une scène ébouriffante : cette ouverture emporte le spectateur (davantage encore que le lecteur) dans un tourbillon d'une grande virtuosité.
Au lever de rideau, et donc sans préparation aucune, nous voyons et entendons entrer presque en courant (vers 2) pas moins de sept personnages, qui prennent presque tous la parole successivement ou en même temps (puisque chaque série de points de suspension signale que le personnage est coupé en pleine phrase). Le plateau chargé : la plupart des personnages sont présents. Nous apprenons les noms et les liens de parenté des personnages, dans une scène très naturelle : une vieille femme, certaine de détenir la vérité, injurie une famille trop respectueuse de son âge, au sein de laquelle le père (ou le mari) reste l'élément dominateur. C'est une comédie bourgeoise, dans laquelle, dès le début, chacun livre son caractère : Madame Pernelle et Damis : des caractères emportés ; Mariane et Elmire : des femmes douces ; Cléante : un raisonneur ; Dorine : une servante vive et sarcastique ; Orgon : l'admirateur inconditionnel de Tartuffe, tyran vis-à-vis de sa propre famille.
Nous nous doutons que les personnages n'évolueront pas : les masques de Molière sont en général dépourvus de profondeur psychologique.
Madame Pernelle, en accaparant le discours, joue un rôle de pivot, d'axe directeur, pour cet essaim en mouvement dont la polyphonie confine à la cacophonie. Afin de présenter tous ces personnages, et la présenter elle-même indirectement, Molière utilise ce personnage secondaire de vieille bourgeoise austère qui dit ses quatre vérités à tous les habitants du foyer. On apprend ainsi, outre sa brutalité foncière, la position domestique de chacun d'eux : « bru » (vers 3-5), « suivante » (v. 13), petit-fils (vers 16), « sa sœur » (vers 21), « Monsieur son frère » (vers 32-33). À noter qu'on n'apprend pas encore leurs noms (quand on assiste à une représentation de la pièce), ce qui révèle à quel point leur statut de modèle expérimental, de type, prime sur leur identité narrative. D'emblée le mécontentement boudeur, la hargne immédiate, de Madame Pernelle (vers 8-10), plus encore que sa façon tyrannique de couper court à toute objection, laisse deviner que ces portraits à l'emporte-pièce ne présentent qu'une image noircie de la réalité ; la franchise dont elle se targue (vers 39-40) semble être une pratique du dénigrement systématique. Mais une caricature contient un soupçon de vérité, à preuve la prise de parole avortée de Dorine, la servante, qui vérifie en l'anticipant l'accusation d'impertinence (par opposition à Flipote, la suivante muette de Madame Pernelle) ; le spectateur est ainsi amené à souscrire, en partie du moins, aux caractérisations suivantes : Damis, le fils, est un vaurien, Elmire, la mère, une coquette dépensière, Cléante, le beau-frère, un intrus libertaire. L'ensemble de la pièce montrera la vérité de ces définitions, mais dans leur valeur positive.
Cependant, un tel renversement de point de vue n'est acceptable in fine que si la tonalité générale récuse tout sérieux : la nature comique de la pièce apparaît ainsi intrinsèquement liée à son but démonstratif. La première scène donne un échantillon des différents procédés concourant à faire rire le spectateur : sur le plan visuel d'abord, la course qui sert d'entrée en scène ainsi que les virevoltes nécessaires aux portraits successifs, sont l'opposé de la dignité tragique. Sur le plan intellectuel, l'effet mécanique des immanquables interruptions et les tournures volontiers familières de Madame Pernelle (« la cour du roi Pétaud » vers 12, « trop forte en gueule » vers 14, « l'air d'un méchant garnement » vers 19...), enfin son emploi de proverbes populaires (« il n'est pire eau que l'eau qui dort », vers 23), instituent un registre et un mode de dialogue contraires à ceux de la grande rhétorique.
Hormis la ridicule Flipote, qui n'a qu'un rôle muet, Tartuffe est le seul personnage à être explicitement nommé dans cet extrait, alors qu'il n'apparaît pas en scène. Mais son seul nom a un effet de présence en suscitant une virulente polémique sur la vérité de sa personne : le ton respectueux de Madame Pernelle (vers 42) faisant son éloge s'oppose radicalement à la colère de Damis et à l'ironie de Dorine, révélant ses pratiques condamnables (vers 45-51). Le lecteur / spectateur est ainsi mis au fait d'une contradiction absolue entre l'image que donne ce Tartuffe aux gens extérieurs à la maison (« Votre Monsieur Tartuffe » vers 41, « ce beau Monsieur-là » vers 48), et sa conduite effective selon ceux qui le côtoient : ils l'étiquettent « critique » à deux reprises et le disent abusant d'une autorité (« tyrannique » vers 46, « zélé » vers 51), qui est indue (« usurper » vers 46) et destinée uniquement à frustrer son entourage (similarité des vers 47 et 50, sur des registres distincts) - le tout sous couvert d'une finalité religieuse (vers 53). Cette dualité de perception d'un même personnage amène à reconsidérer les informations distillées dans les portraits qui précédaient : on y trouve le dessin d'une économie familiale plutôt débridée (vers 11), tolérante (vers 15) et sans restriction (vers 30), confortée par une éthique de vie anti-conventionnelle (vers 37-38) ; tous ces traits sont anéantis par l'espèce de main-mise policière exercée par Tartuffe (« il contrôle tout » vers 51), et même reconnue comme telle par son partisan (vers 52). Ce travail de censure permanente serait, selon Madame Pernelle et son fils Orgon, le procédé adéquat pour atteindre le Ciel, vivre saintement. Molière dénonce ainsi d'emblée, avant de révéler l'hypocrisie fondamentale de cette attitude, comment le puritanisme peut miner une famille en y faisant régner la frustration, la colère et la dissension, plutôt que l'harmonie et la charité - un faux-dévot est le diable déguisé !
L'essentiel de l'intrigue nous est livré dans ces premiers vers : il s'agit de la division provoquée au sein d'une famille par l'intrusion d'un faux dévot. La douceur de vivre qui régnait dans la maison contraste avec le rigorisme qu'y impose Tartuffe. Mais l'intrigue compte moins, pour le spectateur, que le heurt entre les personnages. La scène commence et finit sur des paroles adressées par madame Pernelle à sa servante Flipote, personnage sans épaisseur. Sa maîtresse, pressée de partir, prononce un flot de paroles presque ininterrompu : ce sketch de la vie courante se referme sur lui-même à la fin de la scène.
Cette scène babillarde et légère, où il manque le seul personnage qui pourrait bien faire basculer la pièce dans une tonalité beaucoup plus grave, est d'emblée une scène comique, sans que soit soulevé un débat de société comme dans Le Misanthrope, sans non plus qu'on puisse prendre au sérieux les injures de la vieille dame.
Les jeux de scène corroborent cette impression : Madame Pernelle, toute boitillante (sans doute parce que Madeleine Béjart, qui joua le rôle, boitait elle-même), montre une tendance marquée à la gesticulation : c'est un procédé comique récurrent chez Molière. La menace de sa canne n'effraie personne et lorsqu'elle en vient au geste violent, c'est sa pauvre servante qui reçoit le soufflet.
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Analyse de la scène 4 de l’acte I

L’acte I est l'acte d'exposition, mais, dans cette avant-dernière scène, nous n'avons pas encore vu ni Tartuffe, ni même Orgon. Que savons-nous de ces personnages? Tartuffe est un faux dévot, Orgon ne peut se séparer de lui et le laisse prendre de plus en plus de pouvoir au sein de sa famille. La situation est grave : le faux dévot, l'imposteur, comme le dit le sous-titre de la pièce, est en train de s'immiscer dans une famille, au risque de lui ôter ce qu'elle possède (voir scène 2). Pourtant, Molière réussit à rendre comique une situation qui ne l'est pas.
Cette scène est intéressante pour plusieurs raisons :
- Sur le plan dramatique : nous retrouvons les procédés habituels de la comédie moliéresque.
- Sur le plan thématique : nous voyons l’ étude d'un type littéraire et social : le parasite.
Et ces deux éléments mettent en valeur les dimensions tout à la fois comique et sérieuse de cette comédie.
Arrive Orgon qui apparaît un personnage caractérisé par la folie, l'aveuglement et l'illusion sur soi.
Cléante donne un nouveau portrait de Tartuffe, adressé cette fois à Orgon. C'est le premier portrait de l'imposteur fait directement à son intention. Le spectateur a déjà eu l'occasion d'entendre différents portraits de ce personnage éponyme.
On sait bien à ce moment de la pièce que deux clans s'opposent. On a, sur scène, la première tentative du clan adverse pour ouvrir les yeux d'Orgon. Mais, surtout, Dorine veut montrer à Cléante l'aveuglement du maître de maison. Cléante fait figure de spectateur, c'est pourquoi il ne dit rien tout au long de cette scène. Il écoute attentivement et ne cesse de manifester sa surprise, ce qui est très important sur le plan dramatique : on a du théâtre dans le théâtre
Dorine tient un discours ironique. Elle veut prouver à Cléante qu'Orgon ne manifeste plus le moindre intérêt à sa famille, et que la présence de Tartuffe dans cette famille ne peut qu'amener un dénouement tragique. Le fait qu'il soit déjà question de la femme d'Orgon, pour lui ouvrir les yeux, est un moyen habile de la part du dramaturge, d'annoncer la fameuse scène 6 de l'acte III dans laquelle Tartuffe montrera d'autres appétits.
La scène est construite sur un parallélisme entre les maux d'Elmire et le bien-être de Tartuffe.
Dorine fait un portrait de Tartuffe. Elle lui prête des caractéristiques physiques exagérées (« gros et gras » : redondance) qui font de ce personnage l'objet de sa moquerie. Le vers 234 est une phrase nominale qui fait de lui une caricature à visée comique.
Elle mentionne ses activités, le dépeignant sur le mode prosaïque : le lexique qu’elle utilise concerne exclusivement la satisfaction des besoins corporels : manger, boire, dormir, voilà à quoi elle résume l'activité du faux dévot.
Dans les vers 238-240 est remarquable l'emploi ironique de l'adverbe « dévotement », l'expression la plus juste serait, dans ce cas, « goulûment ». Il y a ironie dans la mesure où la servante utilise le vocabulaire du maître, mais pour le détourner : elle feint de prendre à son compte un discours qui n'est pas le sien, tout en marquant le caractère irrecevable de celui-ci. Ainsi, l'ironie vise ici à faire prendre conscience de l'absurdité de la situation et de la réaction d'Orgon. Il a un comportement étrange. Il n'entend pas ce qu'on lui dit. Molière prend au pied de la lettre l'expression « ne pas entendre raison ». En fait, Dorine n'essaye pas encore de le raisonner, mais elle espère qu'il verra clair dans le discours qu'elle lui tient sur Tartuffe. La folie d'Orgon le place d'emblée dans la catégorie des personnages comiques. Molière met en scène des personnages ayant des manies poussées à l'excès, tels que l'avare, le malade imaginaire, le misanthrope, les femmes savantes, et chacun de ces personnages croit détenir la vérité et être sage. C'est une des idées du XVIIe siècle : la plus grande folie, pour l'être humain, consiste à se croire sage.
Orgon répète la « leçon » (vers 273) que Tartuffe lui a enseigné. Puis il continue en disant qu'il verrait « mourir frère, enfants, mère et femme » (vers 278) sans éprouver le moindre chagrin. Cléante, choqué de cette réponse essaie de raisonner Orgon, mais ce dernier vante continuellement la sainteté de son protégé, sa dévotion... Enfin, au moment où Cléante demande si Orgon va donner son accord pour le mariage de Mariane, sa fille, et Valère, son amant, il ne répond que vaguement, puis s'en va rapidement.
Pour Molière (dans sa ’’Lettre sur la comédie de l'Imposteur’’), la norme n'est plus la sagesse de Dieu mais la sagesse du monde. Celui qui refuse d'écouter le monde sombre dans le ridicule. Or, dans cette scène, c’est Dorine qui est du côté de la raison. D’où le comique, car c'est une servante qui, comme toutes celles des comédies de Molière, a un franc parler résolument comique. Orgon a perdu la raison. Pour Molière, la raison s'apparente à la bienséance et à la convenance. Cette bienséance recommande qu'on soit modéré en toute chose, ce que n'est pas Orgon, qui est excessivement attaché à Tartuffe pour des motifs qui échappent à sa famille. Du côté de Tartuffe, l'idée de bienséance entraîne un certain comique sur ses manières de se tenir à table (peinture en mouvement d'un personnage pris sur le vif par une servante).
Le comique tient à la répétition, signe de folie. Orgon, ce personnage extravagant, qui a une image du monde et de lui-même erronée, qui souffre d’un décalage entre la réalité et son délire d'imagination du personnage répète l'expression «Le pauvre homme !». Cette répétition est le symbole de sonaveuglement sur soi-même. Il n'entend pas vraiment ce que lui dit Dorine : aveuglement mais aussi isolement qui condamne au ridicule, et c'est ce ridicule qui rend la situation plaisante et fait rire le spectateur. Il y a décalage entre l’état de Tartuffe qui mange et dort, et le commentaire qu'en fait Orgon. La répétition a un effet comique, mais elle est aussi le signe inquiétant d'une confusion de valeurs sur ce qui fait le vrai mérite d'une personne.
Dans cette scène, Molière annonce ce qui motive l'action de la pièce : l'attitude d'Orgon face à Tartuffe, son aveuglement et son refus d'y voir clair. Les procédés traditionnels de la comédie sont convoqués : on rit d'un personnage ridicule et de l'effronterie d'une servante dont le discours est caractérisé par une ironie comique : exagération, caractère outrancier de certains propos, l'usage d'une logique aberrante, la contradiction entre certains éléments du discours. Orgon fait figure de pantin, on rit à ses dépens, et Cléante est ici le premier spectateur de cette mise en scène des ridicules d'un homme.
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Analyse de la scène 2 de l’acte II

Après la première scène de l’acte, il fallait un épisode consacré au rire, et, dans cette scène, on passe même progressiveemnt de la comédie à la farce (avec les apartés d’un personnage destinés à un autre que lui-même ; le soufflet manqué). On assiste à différentes manifestations du ridicule d’Orgon chez qui, à l’égard de Tartuffe, se mêlent l’admiration pour la vertu chrétienne, les préjugés bourgeois et sa propre vanité. Il passe de la fureur à la contrition, à l’abdication sur l’essentiel et à une vague menace. Ce chef de famille a moins d’autorité sur Dorine, sa domestique qui intervient dans le conflit qu’il a avec Mariane, que sur celle-ci, qui est sa fille. Cette situation traditionnelle chez les pères de comédie se justifie ici sur le plan psychologique. Dorine, qui, face à lui, joue d’abord l’incrédulité, à la façon de Cléante, le traite de «fou», prend la direction de la conversation (le retour d’Orgon vers Mariane [vers 520] est un aveu de défaite), est à comparer à Toinette face à Argan, à maître Jacques face à Harpagon ou à Sganarelle face à Don Juan.
Cette scène se situe juste après la nouvelle foudroyante du mariage prévu par Orgon entre sa fille et Tartuffe.
Trois formes de comique s'y mêlent : comique de situation ; comique de geste (surtout à la fin de la scène) ; comique de caractère.

Orgon apparaît comme un homme changeant et assez versatile. L’homme autoritaire du début (vers 165) cherche ainsi à masquer sa faiblesse. Le coléreux, qui s'emporte assez facilement (vers 471), choisit pourtant son vocabulaire comme le prouve le vers 55). Homme bien élevé, il vouvoie sa servante et doit jouer un rôle en tant qu'homme de bien ; d'où l'efficacité du vers 552 : il est en quête d'une vie exemplaire ; or la colère est l'un des sept péchés capitaux. Dorine le paralyse par ses propos et il ne peut que reconnaître sa défaite à la fin de la scène : il a l'air d'un sage (vers 473) mais il n'est qu'un sot ! C'est un homme qui manque de force et se démonte facilement. Vaniteux, il est fier de faire la charité (vers 490) : les actes de dévotion lui permettent de réaliser son rêve et de se donner bonne conscience. Lui seul sait comment il faut vivre (vers 518, vers 521). Au-delà de la vanité du comportement, l'idée du salut devient pour lui une obsession : c'est pour cela qu'il veut marier sa fille à Tartuffe, pour assurer son salut et le sien (vers 529). C’est un dévot caricatural. Comme tous les personnages de Molière, il est hanté par une passion qui devient ridicule parce qu'il n'en comprend que les marques extérieures : perdant tout sens de la réalité, il devient persuadé que pour éviter la tentation du mal, il faut passer son temps à l'église. C'est ainsi qu'il juge autrui (vers 525).
Dorine, au fil de la scène, change de ton, pour mieux démonter son adversaire. Elle montre de l’assurance au début : champ lexical de l'incrédulité (nombreuses négations sur le verbe croire). Devant l'insuccès de cette tactique, elle prend brusquement le contre-pied de cette tactique au vers 472 : Orgon ne comprend certainement pas le persiflage qui perce dans ses propos. Après la raillerie du début et le rythme rapide de la stychomythie, on trouve un ton et un rythme plus posés, plus raisonnables et qui s'amplifient jusqu'à la tirade des vers 495-517. Dorine s'y autorise à employer des impératifs (vers 506), des interrogations oratoires (vers 504), à user du verbe devoir, alors qu'elle s'adresse à son maître. Orgon devient ici son élève ! La réaction d'Orgon provoque un nouveau changement de ton : il ignore Dorine au vers 519 et se tourne délibérément vers Mariane pour mieux marquer son mépris. Dorine va donc se montrer d'autant plus agressive et incisive. Elle se fait insolente et cherche désormais à indigner Orgon en l'interrompant sans cesse. Ce comique de mots s'accompagnera de comique de geste lorsque son maître lui ordonnera le silence. Enfin, à la fin de la scène, Dorine s'adresse autant au public qu'aux autres personnages (vers 576-79), retrouvant toute l'insolence des servantes qui peuplent les pièces de Molière.
Cette scène s'inscrit dans la tradition comique de Molière : une servante plus raisonnable que son maître, qui n'hésite pas à se montrer insolente et lui dame le pion ; des procédés comiques également habituels (les interruptions de paroles, les apartés, le soufflet). On peut se demander si, dans cette scène, Molière ne fait pas un peu trop l'apologie des mariages d'argent : n'oublions pas que tous les moyens sont bons pour que Dorine essaie de convaincre Orgon de renoncer à marier sa fille à Tartuffe. Et puis, Molière lui-même était habitué à un certain train de vie !
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Analyse de la scène 2 de l’acte III

C’est l’entrée en scène de Tartuffe, une entrée tardive. Nous savons déjà qu’il est un hypocrite, un parasite social et un faux dévot. Nous savons aussi qu'Orgon et madame Pernelle sont ses dupes. Nous ne sommes donc pas surpris, mais nous allons voir en actes ce que nous connaissions seulement jusqu'à présent par ouï-dire.
L'hypocrisie de Tartuffe : Il joue la comédie de la piété devant Dorine qui constitue son public. Pourtant il sait qu’elle n'est pas dupe. Mais la tentation est la plus forte. Il continue à jouer, quel que soit le public. Il oscille entre trois attitudes :
- l'ostentation : vocabulaire hyperbolique du début ;
- la fausse pudeur vis-à-vis de Dorine ; une revendication de sa propre innocence (« cela fait venir de coupables pensées »), pour mieux masquer sa faiblesse : c'est Dorine qui devient la coupable !
- la sensualité : dans « hélas, très volontiers », on remarque le ton triste du premier mot, le ton enthousiaste des deux autres. Il ne peut pas dissimuler sa joie à l'idée de voir Elmire ; d'où sa question impatiente : « Viendra-t-elle bientôt? » Le spectateur peut ainsi mesurer la faille du jeu de Tartuffe : il ne parvient plus à jouer dès qu'il s'agit d'Elmire ; c'est elle qui saura le démasquer auprès du plus irréductible, c'est-à-dire Orgon.

Le comique de la scène est d’abord un comique de caractères par l’opposition entre le masque de Tartuffe et la franche gaieté de Dorine. Par sa sensualité, il devient la dupe de la servante, qui s'amuse à voir son évolution (« Comme il se radoucit »). C’est aussi un comique de gestes et de jeux de scènes : dans la scène du mouchoir, ce n'est pas l'hypocrisie, mais la sensualité qui se montre ; c'est elle qui, ensuite, dévoilera l'hypocrisie (contraste avec la dureté des images de haire et de discipline) ; il faut noter la contradiction entre les mimiques effarouchées de Tartuffe et les agaceries de Dorine. C’est enfin un comique de mots : les champs lexicaux opposés de la religion et de l’austérité d'une part, de la sensualité d'autre part. On remarque les impératifs de Tartuffe face à l'assurance tranquille de Dorine ; par ailleurs, son assurance exagérée se transforme en questions inquiètes et impatientes, tandis que Dorine semble de plus en plus confiante en son propre jugement.

Cette scène illustre tout à fait ce que Molière disait de la prude dans ‘’Le misanthrope’’ : « Elle fait des tableaux couvrir les nudités Mais elle a de l'amour pour les réalités. »
Le portrait est à la fois invraisemblable et vrai : la vérité du fond rend vraie l'invraisemblance du détail : c'est bien là l'un des principes de la comédie.
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Analyse de la scène 1 de l’acte IV

L’opposition entre Tartuffe et Cléante est celle de deux morales :
L’attitude de Cléante envers Tartuffe n’est pas la même que celle de Dorine ou de Damis. Il est bien plus intellectuellement habile. Jusqu'au vers 1232, il s'efforce d'obtenir de Tartuffe le pardon de Damis : pour cela, il a fait appel aux sentiments «chrétiens» de l'imposteur, en feignant de voir en lui un dévot sincère. Sa question : «N’est-il pas d’un chrétien de pardonner l’offense Et d’éteindre en son coeur tout désir de vengeance?» reprend le reproche aux dévots que faisait déjà “La lettre sur l'Imposteur” : ne pas pratiquer «la plus sublime de toutes les vertus évangéliques, qui est le pardon des ennemis.» Il remet à sa juste placel’importance de l’opinion publique pour un vrai dévot.
Malgré l'adresse de son argumentation (arguments ad hominem, ironie teintée de mépris dans ses flèches à l'adresse de Tartuffe), il ne réussit pas à entamer l’assurance du faux dévot. Devant l'échec de son stratagème, il jette le masque et change de tactique : il attaque maintenant l'aventurier, au nom de la morale naturelle et de la justice ; il lui reproche d'avoir accepté, au mépris des lois et de la probité, une donation qui frustre d'un bien légitime les héritiers d'Orgon (vers 1178). Ainsi, placée sur le plan humain et juridique, la position de Cléante semble très forte. Il exprime la morale cartésienne qu’on peut résumer d'après “La lettre sur l'Imposteur” : «la religion n'est [pour Cléante] qu'une raison plus parfaite».

Tartuffe, sans cesser de jouer son rôle de dévot, modifie son attitude et ne tient pas à Cléante le même langage qu'à Orgon, car il est assez habile pour s’adapter à ce nouvel interlocuteur. Il ne se laisse pas décontenancer par l’attaque directe, les formules claires et raisonnables de Cléante qui le met, à son tour, en posture d'accusé. Il sait reprendre à son compte les arguments de Cléante, et jusqu'aux mots de son adversaire, pour en tirer des conclusions opposées. Il défend habilement sa définition du scandale (vers 1198 et 1210).
Bien plus, pour justifier son escroquerie, il recourt à des prétextes religieux et jouer, jusqu'au bout, son personnage de dévot. Il recourt à la casuistique (vers 1237-1248), grâce à laquelle il peut défendre successivement deux morales. “La lettre sur l'Imposteur” avait déjà remarqué : «La distinction subtile que le cagot fait du pardon du coeur avec celui de la conduite [voir les vers 1229 à 1232] est aussi une autre marque naturelle de ces gens-là, et un avant-goût de sa théologie qu'il expliquera ci-après, en bonne occasion.» Il y a là, de la part de Molière une satire religieuse, la «morale» de Tartuffe pouvant être comparée à celle du jésuite de Pascal (Quatrième et Septième “Provinciales”).
Ce cynisme est conforme au caractère de l'«imposteur», même s’il est amené à des paradoxes, à des contradictions, pour concilier ses desseins d'aventurier sans scrupules et le rôle pieux qu'il s'est composé. Tartuffe, sorti de lui-même, se réfugie dans un nouveau personnage qui prend forme dans la maison d'Orgon. Il est l'étranger, mais cette maison doit devenir sienne. Il est un gueux, mais il doit jouir du confort bourgeois en invectivant contre lui. Il est un scélérat, mais il sera d'autant plus exigeant pour la vertu sincère qui règne en ces lieux... En un jeu vertigineux, il reste suspendu entre son être et son personnage, incapable de revenir à l'un ou d'atteindre l'autre.
Le rappel subit du «devoir pieux» est d’une brutalité presque grossière.
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Analyse de la scène 5 de l’acte IV

Peu après la scène 3 qui est de tonalité assez tragique, puisqu'Orgon s'y est montré particulièrement dur et intraitable, arrive cette scène qui, si elle est un entretien plutôt scabreux entre Elmire et Tartuffe, est rendue comique par l’attitude pressante de celui-ci, qui est indigne d'un homme pieux, tandis qu'elle essaie d'éluder, de gagner du temps, mais surtout par la présence d'Orgon caché sous la table, dans une position ridicule.
Dans cette scène de mystification de l’hypocrite qu’est Tartuffe, par Elmire, elle se fait provocante, parle le plus, se rend même légèrement ridicule dans les efforts qu'elle fournit pour l’appâter, alors qu'à la scène 3 de l’acte III, c'est Tartuffe qui lui avait fait des avances : on est ici proche du dénouement ; il faut faire avancer la situation. Tandis qu’Orgon est sous la table, on peut apprécier les travaux d’approche d’Elmire pour mettre en confiance Tartuffe dont on sent qu’au vers 1387 il est plein d’un espoir méfiant. Avec adresse, elle sait tirer parti de la réserve qu’elle a manifestée précédemment (acte III, scène 4) à l’égard de «l’imposteur». Ici, c'est elle qui parle le plus : Tartuffe se méfie et elle se rend légèrement ridicule dans les efforts qu'elle fournit pour l’appâter. Aux vers 1388-1394, elle cherche à établir une complicité avec lui. Les vers 1407-1408 sont une ouverture très nette. Selon A. Simon, elle «représente la féminité exquise [...] Elle seule peut déconcerter à l’instant décisif l’âme de toutes la plus concertée.» pour qu'il accepte de la croire, il faut qu'elle accepte de son côté de lui sacrifier son honneur (le ton restant celui de la galanterie mondaine). La résistance d'Elmire l’exaspère : il perd ainsi, peu à peu, son sang-froid.

Elmire sait attribuer tout son comportement précédent à une pudeur féminine en conformité avec les moeurs du temps. Mais sa tirade (vers 1411-1436) est assez embrouillée pour révéler son trouble. Tartuffe, non sans raisons, se montre d’abord réticent, garde des traces de scepticisme qui s’effacent peu à peu, a d’ultimes hésitations (vers 1445-1446), mais en arrive à une sorte de chantage, proposant à son tour (écho de la scène 3 de l’acte III) un marché à Elmire sous prétexte de mettre sa sincérité à l’épreuve (vers 1445) : pour qu'il accepte de la croire, il exige, en termes de plus en plus précis, qu’elle lui accorde tout de suite «un peu de (ses) faveurs», qu'elle accepte de lui sacrifier son honneur. Ce marché, vulgaire et cynique, est malgré tout présenté sur le ton précieux de la galanterie mondaine (la poésie conventionnelle des vers 1439-1440).
Ainsi poussée dans ses derniers retranchements, Elmire est réduite à la défensive. Elle doit, afin de gagner du temps, sans réveiller la méfiance de Tartuffe, opposer à la sensualité de celui-ci la conception précieuse de l’amour qu’elle feint d’avoir (vers 1453-1458, 1467-1475). D’où une parodie du style précieux à laquelle s’amuse Molière (jeu sur des mots de sens voisins, emploi de termes figurés, d’adjectifs outrés, d’antithèses raffinées) et une argumentation habile. Tartuffe joue à la fois d’une humilité comique et d’une ardeur obstinée qui lui fait tenir aux «réalités» (vers 1466). C’est que la résistance d'Elmire l’exaspère : il perd, peu à peu, son sang-froid et commence à commettre des imprudences, à jeter enfin le masque. Cette irritation progressive de la passion se traduit chez lui par un langage nouveau où la galanterie se mêle au style «dévot». Il est à la fois odieux et pitoyable.
Elmire invoque alors l’argument religieux (vers 1479-1480, 1484), comme elle l’avait déjà fait à la scène 3 de l’acte II et à la scène 1 de l’acte IV. Un intermède comique est apporté par les vers 1497-1501. Plus loin, Tartuffe, dévoilant, sans aucune gêne, son abîme moral, écarte ces scrupules avec l’aisance d’un casuiste, et prononce des aphorismes monstrueux (vers 1504-1506). Adoptant un autre ton de voix, marquant bien sa réticence, l’obligation acceptée à contrecoeur, Elmire, pour qui la situation devient intenable (elle tousse), d'autant qu'Orgon se refuse à sortir de sa cachette, s’adresse plutôt à Orgon qu’à Tartuffe (vers 1517-1519). Mais il demeure muet, reste inexplicablement sous la table, même quand le traître s'est démasqué. Est-ce parce qu’il veut avoir une preuve tangible de l’inconduite de son protégé ou parce qu’il est lâche? Il faudra une ruse d'Elmire pour qu'il en sorte !
À la dernière ruse d’Elmire (vers 1521-1522), Tartuffe, exaspéré, ne tombe pas dans le panneau et exprime son mépris à l’égard d’Orgon (vers 1523-1526), laissant éclater son vrai sentiment à son égard surtout au vers 1524 : c'est peut-être cette parole qui touche le plus Orgon, puisqu'elle le concerne directement. C’est très habile, comme le nota l’auteur de la “Lettre sur “L’imposteur”” qui loua Molière d’avoir estimé que «c’était la dernière corde qu’il fallait faire jouer» et que «le bonhomme [Orgon] souffrirait plus impatiemment d’être traité de ridicule que de lui voir cajoler sa femme». Pour Lanson : «Voilà Tartuffe, le maître hypocrite [...] Même les âmes pures sont viciées à ce contact, et la douce Elmire en vient à jouer un jeu après lequel son mari doit demeurer à jamais avili à ses yeux.»
L’ensemble de la scène, toute d’habileté et de finesse, suit donc un mouvement complexe. Molière a rendu vraisemblable la situation, l’auteur de la “Lettre sur L’imposteur” en faisant ce commentaire : «Prévoyant cette scène comme devant être son chef-d’oeuvre, il a disposé les choses admirablement pour la rendre parfaitement vraisemblable. C’est qu’il serait inutile d’expliquer, parce que tout cela paraît très clairement par le discours même de la dame [vers 1388-1436], qui se sert merveilleusement de tous les avantages de son sujet et de la disposition présente des choses pour faire donner l’hypocrite dans le panneau».
Elvire y remporte un double triomphe : elle a tenu brillamment la gageure et n’a fait aucune concession, et sa satisfaction se traduit dans son langage et son ton. Elle s’est faite provocante pour atteindre but qu’elle poursuivait : le fourbe est démasqué aux yeux d’Orgon. Il aura fallu quatre actes pour arriver à ce résultat. On est donc proche du dénouement et il faut faire avancer la situation.
La scène est marquée par le comique de situation parce qu’on pense à la réaction d’Orgon à chaque parole des deux protagonistes.
Mais le comique de mots s’y déploie aussi par la finesse de la psychologie d’Elmire qui feint des aveux pour que Tartuffe en fasse à son tour de réels. Son comportement reste dans le registre de la comédie, parce qu'elle ridiculise à la fois Tartuffe et son mari. Mais elle-même se fait également duper, parce que l'expérience lui est réellement tout à fait désagréable. La scène détend donc le spectateur avant les scènes suivantes, qui seront beaucoup plus tendues : il faudra un dénouement presque miraculeux pour que la comédie retrouve ses droits.
_________________________________________________________________________________

Analyse de la scène 7 de l’acte V

Même si l’arrivée de Tartuffe a été annoncée, elle fait un grand effet. Il se présente avec un «exempt» (ce fut d’abord le nom d’un sous-officier de cavalerie exempté du service ordinaire, puis, comme ici, un officier de la garde personnelle du roi qui procédait aux arrestations) pour faire arrêter Orgon qui s’indigne avec véhémence : «C’est le coup, scélérat, par où tu m’expédies» (c’est-à-dire : «tu m’achèves»). Mais, coup de théâtre, c’est Tartuffe que l’exempt arrête : «Suivez-moi tout à l’heure (c’est-à-dire «tout de suite») / Dans la prison qu’on doit vous donner pour demeure» (alors que la demeure que Tartuffe croyait déjà la sienne était celle d’Orgon). Le roi intervient en véritable «deus ex machina». Derrière l’exempt, c’est en fait Molière qui prononce cet hyperbolique et emphatique éloge du roi «ennemi de la fraude» qu’il remercie pour l’avoir soutenu dans sa lutte contre la cabale des dévots, pour avoir autorisé la représentation de la pièce ou l'avoir encouragée, comme il le remercie, en se plaçant parmi les «gens de bien», de lui donner «une gloire immortelle». Cependant, selon l’édition de 1682, les vers 1909-1916, 1919-1925 et 1929-1932, auraient été supprimés à la représentation, tandis que, pendant la Révolution, le vers 1906, «Nous vivons sous un Prince ennemi de la fraude», devint «Ils sont passés, ces jours d’injustice et de fraude».
Quand on revient à la situation, est alors entrevu tout un roman plein «d’actions toutes noires» du «fourbe renommé», de l’escroc professionnel, qu’est Tartuffe qu’on a laissé aller en cette affaire pour mieux le démasquer : Molière le noircit ainsi pour calmer les objections de ceux qui avaient critiqué les deux premiers “Tartuffe”. Est entrevu aussi tout un roman d’Orgon qui aurait «autrefois», c’est-à-dire sous la Fronde, rendu des services au roi qui font qu’aujourd’hui il lui pardonne. Et, grâce au prince, Mariane épousera Valère.
Ce dénouement a été fort critiqué, comme invraisemblable ou artificiel : on a fait remarquer, notamment, que la donation d’Orgon était nulle de plein droit (car il ne dispose que d’un sixième des biens de la famille) ; on a prétendu qu’il aurait été plus naturel et plus simple de faire jouer cette clause de nullité pour le dénouement de la pièce : Molière semble bien y avoir songé lui-même quand il fait dire à Elmire (v. 1824) : «Ce procédé détruit la vertu du contrat». On a également objecté que le roi ne pouvait annuler une donation san passer par les magistrats. Mais, pour les affaires politiques, comme celle d'Orgon, il pouvait intervenir personnellement auprès du Parlement et lui imposer sa volonté ; il disposait en outre du droit de grâce.
Ce dénouement a été défendu par La Harpe : «Tartuffe est si coupable qu'il ne suffisait pas qu'il fût démasqué ; il fallait qu'il fût puni ; il ne pouvait pas l'être par les lois, encore moins par la société [...] et n'était-ce pas donner un exemple instructif et faire au moins du pouvoir absolu un usage honorable, que de l'employer à la punition d'un si abominable homme?» Se plaçant au même point de vue moral, Rousseau estime que «ce dénouement, contre lequel on a voulu se récrier, ne pouvait être autrement sans être mal». Marmontel fut du même avis et loua Molière parce que, dit-il, «dans un dénouement qui a essuyé tant de critiques, et qui mérite les plus grands éloges, il a osé envoyer l'hypocrite à la grève...»
En fait, même s’il lui a donné ici beaucoup d’ampleur et de majesté, Molière n’attachait qu’une importance très relative au dénouement matériel de ses pièces.

Les personnages restent, jusqu'à la fin, conformes à ce que nous attendions d'eux :
Elmire sait depuis longtemps qui est Tartuffe et son cri : «L’Imposteur» a d’ailleurs été le titre de la pièce en 1667. Dorine aussi, qui commente : «Comme il sait de traîtresse manière / Se faire un beau manteau de tout ce qu’on révère !» (c’est-à-dire «un beau prétexte»). Elles expriment la position de Molière à l’égard de son personnage.
Cléante est toujours aussi modéré : précis dans ses reproches à l’égard de Tartuffe qui doivent aussi servir à informer indirectement l’exempt (vers 1887-1896) comme, quand la situation s’est retournée, capable de compassion à son égard.
Orgon sait, depuis la scène 6 de l’acte IV qu’il a été berné par Tartuffe, mais il n’en est pas moins indigné par sa conduite.
Tartuffe triomphe insolemment d’Orgon et c’est maintenant contre lui qu’il joue encore au saint homme qui est «pour le Ciel appris à tout souffrir» (c’est-à-dire «habitué à»), qu’aux vers 1884-1885 il reprend les expressions d’Orgon, ajoutant cependant «moi-même» pour bien montrer sa supériorité. Tout son mépris pour cette famille éclate dans le mot «criallerie». S’il se tait après le discours de l'exempt, ce n'est point qu'il soit «accablé par le remords», comme le suppose charitablement Cléante, en vrai chrétien pratiquant l'Évangile (il le voit corrigeant sa vie «en détestant son vice»), mais parce que, confondu par la force de la vérité, l'hypocrite ne trouve plus rien à dire : comme le fit remarquer Fernand Ledoux dans son “Tartuffe” : il «a perdu toute sa morgue, c'est une masse inerte, qui sent le bagne».
Un autre personnage apparaît au cours de cette dernière scène : celui de l'exempt, mais il n'est qu'un symbole, l'instrument de la justice royale et divine ; de là, sa majesté un peu emphatique.
Ainsi, à la fin de la pièce, le ton s'élève de la satire «bourgeoise» à la grande comédie «humaine». La défaite de Tartuffe s'inscrit dans la lutte éternelle du Bien contre le Mal, de la vérité contre le mensonge, de la lumière contre les ténèbres. Comme le libertin Don Juan, l'hypocrite Tartuffe a pu longtemps se jouer des lois sociales et humaines, mais il n'a pu échapper à la justice divine : le drame, si longtemps côtoyé, s'achève en un acte de foi qui rend à la religion son véritable visage ; et du même coup la cabale disparaît sous le mépris qui écrase l'imposteur. Molière avait gagné sa bataille contre la coalition des faux et des vrais dévots, mais au prix de quels remaniements, de quels sacrifices? C'est ce que, seul, aurait pu nous apprendre le “Tartuffe” de 1664.

André Durand

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