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LA MONDIALISATION EN DÉBAT : L'APRÈS -11 SEPTEMBRE
Eddy Fougier Gallimard | Le Débat
2003/3 - n° 125 pages 52 à 63

ISSN 0246-2346
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Pour citer cet article :

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Fougier Eddy, « La mondialisation en débat : l'après -11 septembre », Le Débat, 2003/3 n° 125, p. 52-63. DOI : 10.3917/deba.125.0052

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Eddy Fougier

La mondialisation en débat : l’après -11 septembre
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Il est certainement trop tôt pour savoir si le 11 septembre 2001 constitue véritablement un tournant dans les relations internationales, aussi fondamental que le 9 novembre 1989, tournant qui refermerait la parenthèse ouverte par la chute du mur de Berlin et la disparition de l’Union soviétique. Il est également encore difficile d’évaluer l’incidence durable d’un tel événement sur le processus même de mondialisation. En revanche, les attentats aux États-Unis marquent à coup sûr une nouvelle étape à la fois dans le débat sur la mondialisation, même si celui-ci a perdu de son caractère central, et dans les formes de sa contestation.
L’évolution du débat sur la mondialisation

froide, des flux de capitaux, de biens et de services, de main-d’œuvre et d’informations, mais aussi d’autres phénomènes transnationaux comme les trafics illicites, la pollution, les épidémies ou la dissémination d’armes de destruction massive. Ce processus a d’abord suscité un débat d’experts qui portait principalement sur son caractère inédit ou non, sur ses conséquences, positives ou négatives, ou encore sur le rôle de l’État dans ce nouveau contexte. À partir du début des années 1990, le débat s’est élargi. La mondialisation est alors devenue l’objet d’un vif débat public. Maastricht-Alena-Gatt : l’émergence d’un débat public Les premiers débats sur la mondialisation datent de 1992-1994. À cette époque, trois pro-

L’actuel processus de mondialisation correspond à l’accélération, perceptible depuis les années 1980 et surtout depuis la fin de la guerre

L’auteur tient à remercier Philippe Colombani, Sean Guibert, Christophe Jaquet et Françoise Nicolas pour leur aide.

Eddy Fougier est chercheur à l’Institut français des relations internationales. Le Débat a déjà publié : « Y a-t-il un clintonisme ? L’héritage d’un Président controversé » (n° 115, mai-août 2001).

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1. Voir Sophie Meunier, France, Globalization and Global Protectionism, Center for European Studies Working Paper Series, 71, Harvard University, 2000.

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jets économiques et commerciaux font, pour la première fois et avant même que la notion de mondialisation ne soit popularisée, l’objet de débats publics et politiques : le traité sur l’Union européenne signé à Maastricht, prévoyant notamment l’instauration d’une Union économique et monétaire (U.E.M.) ; l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) entre le Canada, les États-Unis et le Mexique ; et le cycle de l’Uruguay, cycle de négociations commerciales multilatérales menées dans le cadre du Gatt. Ces débats portent sur les thèmes de l’ouverture économique, de l’accélération de la libéralisation des échanges, de l’intégration régionale et de la souveraineté nationale. À la différence des accords précédents, ces projets ont pour particularité d’avoir des incidences pratiques sur la vie quotidienne des individus (monnaie, culture, santé, alimentation ou droit du travail) et sur la politique menée par les États qui y sont partie prenante. Ces débats particulièrement vifs ont induit de nouvelles lignes de fracture, qui transcendent les clivages traditionnels, entre les partisans de l’ouverture, ceux d’une ouverture maîtrisée et, enfin, ceux de la fermeture ou, plus précisément, d’une défense de la souveraineté et de principes supérieurs aux seuls intérêts économiques, ce que Sophie Meunier appelle le « protectionnisme global », par rapport au simple protectionnisme sectoriel 1. Ils impliquent des acteurs qui interviennent habituellement dans les débats politiques et sociaux : des formations politiques (les « souverainistes » en France ou Ross Perot aux États-Unis), des syndicats et des mouvements sociaux (le grand syndicat américain AFL-CIO fait de l’opposition à toute nouvelle libéralisation des échanges son nouveau cheval de bataille), des groupes de pression (des secteurs de la culture ou de l’agriculture) ou des organisations

de la société civile. De nouveaux types d’acteurs émergent également à cette occasion ou dans le sillage de ces débats. Ni syndicats défendant les intérêts de leurs adhérents, ni O.N.G. fournissant un service ou une aide sur le terrain, certains groupes tendent à développer une contre-expertise et une surveillance de l’activité de différentes organisations ou de l’application effective d’un traité ou d’une législation. Ils peuvent avoir la forme d’un réseau, comme l’International Forum on Globalization (IFG), créé en 1994 et qui réunit les principaux groupes protestataires nord-américains et du Sud, ou de ce que les Américains appellent les « Watchdog Groups ». En 1995, deux groupes importants de ce type sont institués : Global Trade Watch (GTW), dans l’orbite de l’organisation de consommateurs Public Citizen, qui sera la cheville ouvrière de la lutte contre l’Accord multilatéral sur l’investissement (A.M.I.) et de l’organisation des manifestations à Seattle, et Focus on the Global South, dirigé par Walden Bello, l’une des grandes figures contestataires du Sud. Des groupes radicaux partisans d’actions directes non violentes et composés de jeunes révoltés de la génération X sont également formés durant cette période, avec Reclaim the Streets ou le camp d’entraînement d’activistes américain Ruckus Society. Enfin, c’est le 1er janvier 1994 qu’est lancée une guérilla au Chiapas (Mexique). Outre le fait de défendre le sort et les droits des Indiens de la région, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) déclenche symboliquement cette action le jour de l’entrée du Mexique au sein de l’Alena. Nombreux sont ceux qui considèrent cet événement comme le début de la vague de contestation de la « mon-

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Seattle : l’explosion de la contestation Les manifestations de Seattle à l’occasion de la conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (O.M.C.), en novembre-décembre 1999, représentent la seconde étape décisive dans le débat sur la mondialisation. Plusieurs évolutions sont notables par rapport à la période précédente. Le cadre de la mondialisation est désormais en place. Une zone de libre-échange a été instaurée en Amérique du Nord par l’Alena. L’O.M.C. a été instituée par l’Acte final du cycle de l’Uruguay, signé à Marrakech en 1994. La diffusion d’Internet explose littéralement, tout comme ce que l’on appelle la « nouvelle économie », fondée sur la diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Enfin, l’euro est lancé le 1er janvier 1999. Apparaissent également les premières difficultés, avec les crises monétaires et financières en Asie de l’Est, en Russie ou en Amérique latine, ainsi que les premières formes de contestation de la mondialisation, cette fois en tant que cible explicite

2. Sous-commandant Marcos, « La quatrième guerre mondiale a commencé », Le Monde diplomatique, août 1997.

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dialisation libérale ». L’action des zapatistes va servir de modèle à la plupart des groupes contestataires par leur habile utilisation des médias et des nouvelles technologies (Internet), mais aussi par le lien qu’ils établissent entre le local et le global, entre leur lutte spécifique et une « rébellion anti-néo-libérale 2 » globale rejetant le processus de mondialisation. Ces débats ont également impliqué, pour la première fois, l’opinion publique, qui se révèle extrêmement partagée sur le thème de l’ouverture. En ont témoigné les résultats du référendum français sur le traité de Maastricht, adopté à une courte majorité (51 %), ou les enquêtes d’opinion outre-Atlantique à propos de l’Alena.

des critiques, que l’on appelle alors « l’antimondialisation ». En effet, cette contestation n’a pas commencé à Seattle. Ses grandes caractéristiques, comme les campagnes internationales, la constitution de réseaux transnationaux ou les manifestations spectaculaires, étaient déjà présentes avant la conférence ministérielle de l’O.M.C. À partir de 1995, d’importantes campagnes internationales se mettent en place. Elles visent l’activité d’acteurs de la mondialisation, comme les institutions de Bretton Woods (campagne « Fifty years is enough » à l’occasion de leur cinquantième anniversaire), ou des entreprises multinationales (campagne obligeant Shell à revenir sur son projet de sabordage d’une plate-forme de stockage en mer du Nord, campagne anti-sweatshops contre les conditions de travail chez les soustraitants d’entreprises de l’industrie de la chaussure, comme Nike). Elles s’opposent également à un projet d’approfondissement du processus par la libéralisation des investissements (projet d’A.M.I. négocié à l’O.C.D.E.). La fin des négociations sur l’A.M.I. en décembre 1998 est considérée par les contestataires comme leur première victoire, même si leur contribution réelle à cet échec s’avère en fait beaucoup plus limitée que ce qu’ils affirment. Enfin, la campagne internationale en faveur de l’annulation de la dette des pays les plus pauvres (Jubilé 2000), à partir de 1996, recueille quelque 24 millions de signatures, ce qui est sans précédent pour ce type d’initiative. Des réseaux internationaux de mouvements protestataires se constituent, avec l’IFG, l’Action mondiale des peuples contre le libre-échange et l’O.M.C. pro-zapatiste (1998), le mouvement

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3. Le Monde, 7 décembre 1995.

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international Attac (1998) ou Direct Action Network, un réseau de mouvements anarchistes nord-américains (1999). Avant même Seattle, des manifestations spectaculaires se produisent également lors de sommets (« euromarches » convergeant à Amsterdam en 1997, à l’occasion du Conseil européen ; immense chaîne humaine formée lors du sommet du G7 à Birmingham, en mai 1998) ou dans des lieux hautement symboliques (violentes manifestations au cœur de la City à Londres, en juin 1999 ; « démontage » d’un restaurant McDonald’s à Millau, en août de la même année, par José Bové et d’autres militants de la Confédération paysanne). Durant cette période, réapparaissent enfin d’importants mouvements sociaux relativement populaires, comme les grèves du secteur public en France fin 1995, décrites à l’époque par Le Monde comme « la première révolte contre la mondialisation 3 », les actions de mouvements de défense des « sans » (sans papiers, sans logement, sans emploi), ou encore les grandes grèves de 19961997 en Corée du Sud. Les manifestations de Seattle représentent malgré tout un tournant décisif. En effet, jusqu’alors les différents groupes contestataires s’exprimaient plutôt de façon séparée. Or, à Seattle, pour la première fois, se forme une association des syndicats et des O.N.G., ce que l’on a alors appelé la coalition « turtle-teamster », faisant référence aux défenseurs des tortues et aux camionneurs syndiqués. Ces groupes manifestent ensemble autour d’objectifs communs, en l’occurrence bloquer l’organisation concrète des réunions et surtout empêcher le lancement d’un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales, le « cycle du Millénaire ». Le nombre de manifestants est très élevé (environ 50 000) et des dégradations de biens sont commises par des groupes radicaux. Les contesta-

taires parviennent à perturber l’organisation pratique du sommet et à créer un tel chaos dans la ville qu’un couvre-feu est décrété par les autorités, et ceci pour la première fois depuis la guerre du Vietnam (il faut cependant noter que cette confusion est aussi largement liée à l’impréparation des forces de l’ordre et aux carences de l’organisation du sommet). Parallèlement, les négociations échouent. La masse des manifestants et les actes de désobéissance civile, la confusion régnant dans la ville, la désorganisation du sommet, l’émergence d’un front commun des pays du Sud y participant et l’échec du lancement du cycle du Millénaire ont alimenté, à tort, l’idée selon laquelle l’échec de Seattle était à mettre au crédit des contestataires. Il n’en reste pas moins que leur présence massive et le retentissement de leurs manifestations, mais aussi de cet échec, ont ouvert une brèche dans le consensus global qui existait jusqu’alors sur les bienfaits de la mondialisation. Ces événements ont ainsi donné un écho sans précédent à la critique de la « mondialisation libérale » et ont fait prendre conscience aux responsables qu’il existait bien un malaise face à ce processus. La formule « gagnante » de Seattle – vaste coalition de groupes disparates, masse de manifestants pacifiques, actions visant à bloquer l’organisation des sommets et violence des radicaux – est alors reproduite lors de chaque grande réunion internationale, le sommet de Gênes (G7/G8) de juillet 2001 en constituant l’apogée, avec ses 200 000 manifestants pacifiques, ses violences et le premier décès d’un activiste. Cette vague de manifestations crée alors un rapport de force de plus en plus favorable aux idées défendues par les contestataires de la mondiali-

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La redéfinition de la contestation après le 11 septembre

Les attentats perpétrés aux États-Unis, notamment contre le World Trade Center, symbole de la puissance économique et financière américaine et de la mondialisation, et ses conséquences internationales (lutte antiterroriste, interventions en Afghanistan puis en Irak) ont brisé cette dynamique en ouvrant une nouvelle phase dans le débat sur la mondialisation. Ce débat reste public, mais il semble être passé au second plan des priorités internationales. Omniprésent tout au long des années 1990, il paraît en effet avoir perdu de son caractère central au profit des enjeux de sécurité interne et externe.

4. Première entreprise touchée par la critique, Shell a tout particulièrement développé ses relations avec les O.N.G. et a été pionnière dans la promotion du développement durable. 5. Monsanto a mis en place un Comité consultatif des biotechnologies (C.C.B.), auquel participent des O.N.G.

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sation. Ces derniers réussissent même à façonner un climat général de vigilance et de suspicion face au processus de mondialisation et à ceux qui sont considérés comme ses « acteurs » : les gouvernements des pays riches, les firmes multinationales ou les grandes institutions multilatérales. Les responsables gouvernementaux, d’entreprises ou d’institutions internationales sont désormais tenus de répondre d’une manière ou d’une autre à leurs critiques, sous peine de faire l’objet d’une vigoureuse campagne internationale et, par conséquent, de fortement nuire à leur image et à leur crédibilité. La mise en place d’organismes consultatifs ou de mécanismes de consultation avec les acteurs de la société civile par des organisations internationales, comme la Banque mondiale à travers son comité O.N.G., ou des firmes multinationales particulièrement mises en cause, telles que Shell 4 ou Monsanto 5, sont autant de symptômes de cette influence nouvelle des contestataires.

Ces nouvelles conditions remettent en cause le « mouvement pour la justice globale » tel qu’il a pu se « structurer » à Seattle, ses modes d’action et son type de critiques. Les défis d’un nouveau contexte global Depuis les attentats aux États-Unis, le nouveau contexte global est dominé par la lutte contre le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive, de nouvelles tensions internationales (Israël-Palestine, Inde-Pakistan ou Irak), une dégradation de la situation économique, la domination des gouvernements de centre droit au sein des principaux pays industrialisés et la montée des mouvements radicaux (national-populisme en Europe, droite néoconservatrice aux États-Unis). Les préoccupations post-11 septembre ne sont plus, par conséquent, les mêmes que celles qui existaient au moment des manifestations de Seattle. Elles apparaissent beaucoup plus immédiates et « matérialistes », en liaison avec le ralentissement de l’activité économique, et beaucoup plus sécuritaires, tant sur le plan interne qu’externe. Ce nouveau contexte représente un véritable défi pour la mouvance contestataire. En effet, la contestation de la mondialisation est apparue et s’est développée dans la seconde partie des années 1990, c’est-à-dire durant la période postguerre froide qui se caractérisait par une paix internationale (malgré la multiplication des conflits locaux particulièrement violents, en Afrique centrale ou dans les Balkans), une croissance économique globale et la domination des

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gouvernements de centre gauche au sein des principaux pays industrialisés. Ce contexte paraissait particulièrement favorable à la diffusion des valeurs et des préoccupations éthiques et « post-matérialistes » véhiculées par les groupes contestataires, que ce soit l’équité, la justice, la démocratie, la défense de l’environnement, des droits de l’homme ou du développement des pays du Sud. Par ailleurs, depuis le 11 septembre, le thème de la mondialisation est passé quelque peu au second rang des priorités internationales. Sur le plan interne, en particulier en Europe, les questions d’insécurité et d’identité nationale sont désormais au cœur des débats politiques. La montée des mouvements populistes sur le Vieux Continent entre 2000 et 2002, ou les résultats de l’élection présidentielle en France, contrairement à ce à quoi l’on aurait pu s’attendre, n’ont eu qu’un lointain rapport avec le thème de la mondialisation. Celui-ci ne paraît plus constituer le débat central autour duquel les forces politiques, syndicales et associatives doivent se positionner, comme ce fut le cas entre Seattle et Gênes. Ce déclassement du thème de la mondialisation explique, en grande partie, le faible retentissement médiatique des manifestations de contestation depuis septembre 2001, en particulier dans les médias anglo-saxons. Alors que plus d’une centaine d’articles étaient consacrés au Forum social mondial (F.S.M.) de Porto Alegre de 2003 dans les quotidiens nationaux français, leur nombre a été beaucoup plus faible dans leurs équivalents britanniques (avec une vingtaine d’articles) et a fortiori américains (quasiment aucun article sur ce thème).

La remise en cause des modes d’action nés à Seattle Depuis le 11 septembre 2001, la mise en œuvre de la formule « gagnante » de Seattle est devenue de plus en plus difficile. Les manifestations massives lors de sommets, les actions visant à contrecarrer leur organisation et la violence des éléments radicaux ne sont plus vraiment possibles. Cependant, les attentats aux États-Unis n’ont fait, de ce point de vue, qu’accélérer des tendances qui étaient déjà perceptibles auparavant. La montée de la violence, tant en raison de l’aggravation des actions commises par certains manifestants, notamment les Black blocs (jeunes radicaux masqués et vêtus de noir qui agissent par groupes d’affinité lors de manifestations) que de la répression des forces de l’ordre (utilisation de balles réelles à Göteborg et à Gênes, descente de police « musclée » dans les locaux du Forum social de Gênes), a été la principale caractéristique des sommets qui ont eu lieu en 2001. Les gouvernements hôtes et les organisateurs de ces sommets ont réagi en prenant des mesures de sécurité exceptionnelles (Forum économique mondial de Davos, sommet des Amériques de Québec ou du G7/G8 à Gênes) et par une stratégie d’évitement (annulation de la conférence annuelle de la Banque mondiale sur le développement économique, initialement prévue à Barcelone à la fin du mois de juin ; décision d’organiser les sommets dans des lieux éloignés et difficiles d’accès : à Doha, au Qatar, pour l’O.M.C. en novembre 2001, ou à Kananaskis au Canada pour le G7/G8 en juin 2002). Aux craintes de menaces de violences des éléments les plus radicaux se sont ajoutées, bien évidemment, les menaces d’actions terroristes, qui avaient déjà incité les autorités italiennes à

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58 Eddy Fougier La mondialisation en débat

Une protestation post-11 septembre Les groupes qui rejettent la « mondialisation libérale » n’ont pas uniquement adapté leurs modes d’action au nouveau contexte global, ils ont aussi redéfini leur discours et leurs propositions. En privilégiant leur propre processus, à travers l’organisation de forums sociaux, ces groupes, au-delà de la simple énonciation de critiques et des campagnes d’opposition, tendent à mettre de plus en plus l’accent sur la définition d’alternatives et de propositions concrètes. Les principaux groupes impliqués dans la mouvance contestataire ont ainsi publié des rapports définissant leur vision d’une mondialisation alternative. Ce fut le cas récemment d’Oxfam

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prendre des mesures de sécurité spécifiques à Gênes. Après les attentats aux États-Unis, les groupes contestataires ont donc de plus en plus de difficultés à organiser des manifestations lors des sommets, à l’exception des Conseils européens (Laeken, Barcelone ou Séville). Ils ont été dans l’obligation de s’adapter à ce nouveau contexte en sortant de l’ambiguïté face à la violence et en privilégiant leurs propres manifestations. Depuis les affrontements de Göteborg, lors du Conseil européen de juin 2001, le débat sur la violence des radicaux commençait à diviser les contestataires. Certains condamnaient les auteurs des violences et considéraient qu’à terme celles-ci seraient préjudiciables à la mouvance en contribuant à masquer la perception de son message et à la discréditer aux yeux de l’opinion. D’autres préféraient ne pas trancher et condamnaient autant les « ultras » que la répression et la « criminalisation » de la contestation. Les attentats du 11 septembre semblent avoir clos ce débat en incitant les contestataires à prendre leurs distances vis-à-vis des groupes les plus violents, et ce, afin d’éviter toute tentative d’amalgame entre terrorisme, anti-américanisme, violence et contestation. Cela a été tout particulièrement le cas à Porto Alegre, début 2002, où un certain nombre de groupes, dont les Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie) ou la branche politique de l’organisation basque ETA, Herri Batasuna, n’ont pas été admis. De même, à Florence, lors du Forum social européen (F.S.E.), en novembre 2002, aucune violence n’a été déplorée, en dépit des craintes du gouvernement italien après les affrontements de Gênes l’année précédente. Les manifestations de Gênes marquent donc à la fois l’apogée de cette combinaison de la masse des manifestants pacifiques et de la violence des plus

radicaux, qui était née à Seattle, et certainement son dernier épisode, du moins sous cette forme spécifique. Les groupes protestataires privilégient de plus en plus leurs propres manifestations à travers lesquelles ils tentent de définir des stratégies et des modes d’actions communs, ainsi qu’une alternative à l’actuel processus de mondialisation. Ces manifestations se déroulent principalement dans le cadre du Forum social mondial. Le second et le troisième F.S.M., qui ont eu lieu une nouvelle fois à Porto Alegre, ont d’ailleurs remporté un vif succès en accueillant quelque 60 000 personnes en 2002 et 100 000 personnes début 2003. Ce Forum se décline désormais à l’échelle régionale et nationale. Un Forum social européen, qui a réuni environ 60 000 participants, a ainsi été organisé à Florence, tandis qu’un Forum social asiatique (F.S.A.) s’est tenu à Hyderabad, en Inde, en janvier 2003. Des forums sociaux nationaux se sont également tenus, par exemple, en Belgique et au Québec en septembre 2002.

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6. Rigged Rules and Double Standards. Trade, Globalisation, and the Fight against Poverty, Londres, 2002. 7. A Better World Is Possible ! Alternatives to Economic Globalization, Berrett-Koehler, San Francisco, 2002. 8. Responsible Reform of the World Bank. The Role of the United States in Improving the Development Effectiveness of the World Bank Operations, 2002. 9. Walden Bello, Deglobalization : New Ideas for Running the World Economy, Zed Books, Londres, 2003.

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international 6, de l’IFG 7 ou de l’US Civil Society Coalition 8. Entre Seattle et Gênes, il existait une sorte de consensus au sein de la mouvance contestataire sur la base d’une même critique de la « mondialisation libérale ». Or, la publication de ces rapports a révélé l’existence de fortes divergences entre ces différents groupes, voire de visions souvent opposées de la mondialisation et de sa gouvernance. Le rapport d’Oxfam international, tout en reprenant les principales revendications de la mouvance contestataire, défend ainsi l’idée d’une « mondialisation intégratrice » (« inclusive globalisation »). Pour l’O.N.G. britannique, le développement des pays pauvres et la lutte contre la pauvreté passent par leur intégration aux flux de mondialisation, et donc par leur libre accès aux marchés des pays du Nord, notamment dans les secteurs agricole et textile. Ce qu’elle critique et ce qu’elle souhaite réformer en priorité, c’est par conséquent la forme actuelle de gouvernance qui favoriserait des échanges inéquitables au profit des intérêts des gouvernements des pays riches, des institutions multilatérales ou des firmes multinationales. Elle défend l’idée que le commerce serait un outil particulièrement efficace pour aider les pays du Sud à sortir de leur pauvreté et que l’économie de ces pays doit être en grande partie orientée vers l’exportation. Le rapport de l’IFG développe une approche totalement opposée de l’économie et de la mondialisation. Il semble représenter le point de vue dominant dans la contestation nord-américaine et des pays du Sud. Il a d’ailleurs été rédigé par quelques-unes des plus grandes figures de la contestation : Maude Barlow (Council of Canadians), Walden Bello (Focus on the Global South), John Cavanagh (Institute for Policy Studies), Martin Khor (Third World Network),

Vandana Shiva (Foundation for Science, Technology & Ecology) ou Lori Wallach (Global Trade Watch). Il privilégie plutôt ce que Walden Bello appelle la « déglobalisation 9 », ainsi que la « localisation » et l’indépendance (selfreliance) des unités locales. Le système économique alternatif défini par l’IFG doit répondre en priorité aux besoins locaux et impliquer le « contrôle démocratique » des communautés ou des États-nations. Il promeut, en fait, une nouvelle forme de développement autocentré en rupture avec le principe du libre-échange, comme avec celui d’une mondialisation qui se réaliserait au seul profit des entreprises multinationales. Dans ce contexte, la gouvernance globale doit se réduire à une simple coopération entre les communautés sur des thèmes globaux, comme le changement climatique, suivant le principe de subsidiarité et la prédominance de la « souveraineté locale ». L’autre évolution notable des thématiques développées par les « No global » est l’adaptation de leurs critiques à la nouvelle situation internationale, alors que le thème même de mondialisation apparaît désormais secondaire dans l’agenda international. La mouvance contestataire tend à se muer progressivement en un mouvement de protestation globale contre toute forme de pouvoir arbitraire et d’injustice, audelà de la seule thématique de la mondialisation. Ainsi, pour nombre d’activistes, la dénonciation de la guerre est désormais mise sur un même plan que la critique de la mondialisation, les

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60 Eddy Fougier La mondialisation en débat

L’avenir incertain de la contestation

Contre toute attente, la mouvance de contestation de la mondialisation a donc survécu au 11 septembre. Elle a montré ses capacités d’adaptation au nouveau contexte induit par les attaques terroristes et la réaction américaine à ces attentats. Elle est par conséquent loin d’être un simple feu de paille. Son avenir n’en est pas

10. Appel des mouvements sociaux, F.S.M., Porto Alegre, 2003. 11. Résistance au néo-libéralisme, à la guerre et au militarisme : pour la paix et la justice sociale, Appel des mouvements sociaux, F.S.M., Porto Alegre, 2002.

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États-Unis étant en ligne de mire dans les deux cas. En ont témoigné les imposantes manifestations de Florence et de Porto Alegre contre la guerre en Irak, ainsi que la participation massive des groupes contestataires aux manifestations pacifistes, le 15 février 2003, ou après le déclenchement des hostilités. En effet, si, durant les années 1990, la critique portait sur une mondialisation qui se déploierait au nom des intérêts des entreprises multinationales, notamment américaines, depuis le 11 septembre, et tout particulièrement à propos de l’affaire irakienne, celle-ci porte de plus en plus sur la politique extérieure et de sécurité de l’« Empire » américain au nom des intérêts économiques et militaires de Washington. Les contestataires tendent même à relier guerre et mondialisation en dénonçant les « pressions économiques et militaires visant à imposer le modèle néo-libéral 10 » et l’alliance du « néo-libéralisme » et du « militarisme 11 », le second étant, selon eux, un moyen d’imposer le premier par la force. La construction d’un rapport de force passe donc désormais par d’autres canaux que par les manifestations d’opposition lors de sommets, et par la promotion d’autres thématiques que la dénonciation des injustices en liaison avec la mondialisation au nom de la défense des « exclus ».

pour autant dégagé. Elle reste à la merci d’une évolution aléatoire de la situation internationale, notamment liée aux conséquences de la guerre en Irak. Par ailleurs, elle se heurte à un certain nombre d’écueils qui ont trait à son rapport au pouvoir. Les contestataires ont tiré les enseignements des expériences protestataires passées en la matière, ce qui leur a permis d’éviter quelques impasses. Mais cela souligne également certaines des limites de leur entreprise. Principale leçon du passé et du double échec de l’expérience soviétique et du terrorisme rouge des années 1970, ils n’aspirent plus à la conquête et à l’exercice du pouvoir, ni a fortiori au « grand soir » par la conquête violente du pouvoir en vue de transformer radicalement la société et le système économique. Ils considèrent que le « mouvement » ne doit en aucun cas se transformer en force politique ou en une nouvelle Internationale, et qu’il doit, par conséquent, rester pluriel dans sa composition et son opinion. Son objectif est bien plutôt de former un contre-pouvoir face à ceux qu’ils considèrent comme les principaux « acteurs » de la mondialisation et de gagner le débat des idées contre le « néo-libéralisme », et ce, en développant une contre-expertise et en se fondant sur une protestation de masse susceptible de créer un rapport de force favorable. Cependant, leur refus de donner une expression proprement politique à leur mouvance, de conquérir le pouvoir, de passer par le jeu électoral à l’échelle nationale, ou encore d’éviter toute tentative de récupération, notamment politique, ou de promiscuité trop grande avec les diffé-

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Une alliance Porto Alegre-Davos ? Ces préoccupations ne sont pas nouvelles. Les clivages entre socialistes et communistes ou, par exemple, entre Fundis et Realos chez les Verts allemands reflétaient déjà cette approche différenciée du pouvoir. Au sein de la mouvance contestataire, on peut également percevoir, d’une part, l’existence d’une approche plutôt réformiste, plus pragmatique, développée par ceux qui sont prêts à accepter un dialogue, voire une coopération, avec les pouvoirs, et, d’autre part, une approche plutôt radicale, défendue par tous ceux qui se refusent à envisager une telle promiscuité, synonyme pour eux de compromission et de reniement. Dans les faits, la délimitation d’une telle ligne de clivage n’est cependant pas toujours aisée. Attac, par exemple, se situe parmi les réformistes pour les uns et parmi les radicaux pour les autres. Il n’en reste pas moins qu’en

12. Pascal Lamy, « Après Doha. Les chemins de la gouvernance mondiale », Les Cahiers En temps réel, n° 1, février 2002. 13. Commission, Mémorandum, 22 avril 2002. 14. Libération, 18 octobre 2002. 15. Op. cit. supra note 8.

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rentes formes de pouvoir, limite grandement leur influence. Ce fut le cas d’Attac en France durant la campagne présidentielle où, malgré son influence certaine sur le débat d’idées, le poids de l’association a été plutôt faible, la thématique contestataire ayant été récupérée par un candidat comme Olivier Besancenot. Le rapport au politique et au pouvoir sera donc certainement l’un des enjeux clefs pour la mouvance contestataire dans les années à venir. En effet, comment peut-elle espérer influencer les sphères décisionnelles politiques, économiques, régionales ou internationales en refusant à la fois tout contact avec ces dernières et toute tentative de prise de pouvoir ? Et comment peut-elle envisager entrer dans des mécanismes de consultation, voire de décision, sans perdre pour autant de sa dimension critique et son lien avec le terrain et les préoccupations des militants de base ?

certaines occasions cette dichotomie est visible. Ainsi, le rapport d’Oxfam, qui se situe dans une optique plutôt réformiste, comme on a pu le voir, a fait l’objet de vives critiques de la part de figures contestataires du Sud plus radicales comme Walden Bello ou Vandana Shiva, ou d’un groupe comme Earth First. Dans ce contexte, on peut émettre l’hypothèse d’une formation de compromis pragmatiques entre la frange la plus réformiste des contestataires et les responsables les plus ouverts à la critique. C’est notamment ce que pense le commissaire européen chargé du Commerce international, Pascal Lamy : « Il n’est donc pas exclu que nous soyons entrés dans une phase nouvelle : incertaine, contradictoire et complexe certes, mais aussi potentiellement propice à des compromis et arrangements entre forces réformistes décidées à surmonter les problèmes d’acceptabilité sociale et politique de la mondialisation 12. » On le voit d’ores et déjà à travers diverses tentatives de rapprochement ou initiatives de part et d’autre. Ainsi, la Commission européenne a non seulement rédigé un mémorandum en réponse à la publication du rapport d’Oxfam 13, mais a aussi déclaré, par la voix de Pascal Lamy, partager « totalement la philosophie au fondement de ce rapport ». La main tendue par le Premier ministre belge Guy Verhofstadt dans sa Lettre ouverte aux altermondialistes 14 se situe dans cette même logique. Du côté des organisations de la société civile, le rapport de l’US Civil Society Coalition 15, coalition de grandes organisations de la société civile américaine (AFL-CIO, Bank Information Center,

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62 Eddy Fougier La mondialisation en débat

La contestation dans un seul pays ? Si le clivage réformistes-radicaux constitue un trait commun de la mouvance contestataire actuelle avec les mouvements protestataires passés, elle s’en différencie pourtant sur deux points très précis. Aujourd’hui, l’idée d’une alternative globale à la démocratie de marché, la fameuse « fin de l’Histoire » de Francis Fukuyama, relève très certainement de l’utopie. Le projet de taxe Tobin, par exemple, ne vise pas à créer un système économique alternatif au capitalisme, mais à mettre en place une forme de gouvernance et de redistribution des richesses à l’échelle globale qui soit plus équitable pour les pays pauvres. Plus qu’une alternative globale, la contestation actuelle va plutôt sécréter des micro-alternatives

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CPER, Friends of the Earth, Jubilee USA, Oxfam America, Public Citizen et de nombreuses organisations religieuses), développe lui aussi une approche très réformiste en se donnant pour objectif de transformer la Banque en une « institution globale de développement efficace ». Les initiatives de l’O.N.G. World Wildlife Fund (WWF) en direction des entreprises (accord de partenariat stratégique avec l’entreprise Lafarge et octroi d’un label à un fabricant italien de pâtes) et la certification par l’O.N.G. Rainforest Alliance de la banane Chiquita (Better Banana Project) constituent autant d’exemples de partenariats entre des O.N.G. réformistes et des acteurs privés dont les pratiques étaient jusqu’alors plutôt controversées : le cimentier Lafarge dans le domaine de l’environnement, et l’entreprise Chiquita, ex-United Fruit, en matière de respect de normes sociales et environnementales. Ces tendances, critiquées par certains contestataires, sont, malgré tout, appelées à se développer.

ou des poches d’alternatives comme il en existe déjà sur le plan économique, avec l’économie sociale et solidaire par rapport à l’économie marchande ou le commerce équitable par rapport au commerce international, ou, sur le plan politique, avec les expériences de démocratie participative telles qu’elles ont pu se développer dans la ville de Porto Alegre. L’exemple de la guérilla du Chiapas montre que les zapatistes n’aspiraient pas au lancement d’une révolution mondiale, mais plutôt à l’instauration d’un « traitement différencié » pour les Indiens de la région. L’autre différence notable est l’absence de pays mettant en œuvre une véritable alternative à une échelle nationale et qui pourraient être érigés en modèles, à l’instar de l’Union soviétique dans les années 1920-1930. En la matière, il convient cependant de suivre avec attention les expériences sud-américaines à la suite de l’arrivée au pouvoir de gouvernements de gauche défendant des thèses proches de celles des opposants à la « mondialisation libérale », avec Lucio Gutierrez, qui a été élu à la présidence de l’Équateur en novembre 2002, et surtout Lula (Luiz Inacio Lula da Silva) du Parti des travailleurs (P.T.), élu président de la République du Brésil en octobre 2002. En effet, leur campagne, principalement axée sur les thèmes de la lutte contre la pauvreté et la corruption, a été soutenue par des mouvements sociaux et la gauche alternative : mouvement Pachakutik (MUPP-NP) en Équateur et Mouvement des sans-terre au Brésil. Par ailleurs, le P.T., au Brésil, a été l’une des chevilles ouvrières de l’organisation du F.S.M. de Porto Alegre, municipalité dirigée par ce parti, tandis que Lula lui-même a été l’une des grandes figures des différents forums. En même temps, ces nouvelles présidences font face à de nombreuses contraintes, qui sont à la fois poli-

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63 Eddy Fougier La mondialisation en débat

Eddy Fougier.
16. Sur ce thème, voir Eddy Fougier, « Y a-t-il un clintonisme ? L’héritage d’un président controversé », Le Débat, n° 115, mai-août 2001.

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tiques (difficultés à constituer une majorité parlementaire), économiques (relations avec les entreprises privées et les acteurs financiers) et internationales (relations avec le F.M.I. et Washington) qui montrent les limites de l’application d’une « politique contestataire » dans un seul pays. Gutierrez et Lula semblent s’être donné pour objectif de combiner orthodoxie économique (discipline budgétaire et monétaire, respect de l’accord avec le F.M.I. sur le remboursement des échéances de la dette) et innovations sociales, dont l’exemple le plus symbolique est le programme brésilien « Faim zéro » de lutte contre la malnutrition. Cette « troisième voie », certainement plus sociale que celle développée par Bill Clinton 16 ou Tony Blair, constitue un pari ambitieux, mais risqué, d’autant plus que leur marge de manœuvre paraît des plus étroites. Ils doivent, en effet, éviter de soulever une opposition à la fois internationale (F.M.I., marchés financiers, États-Unis) et interne (l’exemple d’Hugo Chavez au Venezuela servant certainement de contre-exemple de ce point de vue), sans pour autant décevoir leurs électeurs et leurs soutiens, dont les attentes paraissent immenses. Ces tentatives visant à combiner un programme social proche de la

vision alternative des contestataires et une approche économique réaliste pourraient par conséquent être très riches d’enseignements. Leur réussite est susceptible de favoriser l’aile réformiste de la contestation et de servir de modèle pour une alternative « réaliste » en montrant que les préoccupations économiques et sociales ne sont pas incompatibles, tandis que leurs difficultés à réaliser leurs promesses, ou leur reniement, tendraient à radicaliser la mouvance contestataire qui considérerait alors le « système » comme définitivement non réformable. Au-delà de l’environnement international, la réussite ou l’échec de ces expériences gouvernementales constituera donc une donnée fondamentale de l’évolution de la contestation de la mondialisation, le risque de désillusion étant à la hauteur des espoirs soulevés dans les populations locales et au sein des groupes contestataires, comme on a pu le voir lors de la visite de Lula à Porto Alegre, début 2003.

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